Spoilers
J'ai vu une critique présentant Westworld comme une énième série à propos de robots qui accèdent à la conscience. Je voulais donner mon point de vue la-dessus.
La série n’est pas clairement située dans le temps. Imaginons que nous sommes simplement dans un futur proche. D’après ce qu’on voit dans le parc d’attraction et dans les labos, on peut imaginer un monde avec une technologie avancée. On peut imaginer un monde plus évolué que le nôtre d’un point de vue sanitaire et social, où une majeure partie de la population mondiale a accès à l’eau et à la médecine, a un accès indécent de facilité à la nourriture, aux vêtements et aux cartes PANINI, et où se loger n’est plus un problème. Ces impératifs matériels considérées par la partie favorisée de la population comme réglés, l’homme privilégié a le temps de se poser des questions existentielles et de s’effrayer de la brièveté et l’apparente absurdité de la vie. Pour contrer l’angoisse, l’homme peut être tenté de se mobiliser pour donner un sens supérieur à son existence et s’extraire de la mélancolie. Et je pense que Westworld aborde l’aspect illusoire d’une telle ambition. Ce sujet est traité de manière très concrète à travers Arnold et Ford. De manière plutôt romantique à travers William, alias l'homme en noir. Et de manière allégorique à travers Dolores.
En effet, le robot à la recherche d’un état de conscience devient une allégorie explicite. A la manière de l’homme en quête de transcendance, le robot tente d’atteindre un état qui lui est par essence inaccessible. Et la série traite donc ce sujet de manière géniale avec le personnage de Dolores (douleurs). Pendant les trois quarts de la série, on est touché par son désir d’émancipation. On prend parti pour elle. On la soutient dans ses démarches pour accéder à une nouvelle forme d’existence. On y croit avec elle et on essaye d’imaginer ce qu’il y a au bout de son parcours initiatique, sous quelle forme la grande révélation va venir se poser délicatement sur ses petites épaules mécaniques. L’éventualité qu’elle y parvienne est renforcée à travers le regard de William. Il semble déceler chez elle quelque chose de spécial. Il tombe amoureux… et puis terrible déception, elle n’est qu’un robot.
NB: Le coup dur, c’est lorsqu’il la voit, dans le village de départ du parc, rencontré un homme dans les circonstances identiques où elle et William s’était rencontrés. La fonction RESET, ça casse un peu le truc. Dolores est passée par le laboratoire, elle a oublié William, leur histoire n’a jamais dépassé les frontières que le parc voulait bien leur donner.
William ne l’accepte pas et devient fou. Son idée va alors être de prouver que ce qu’il avait vu en Dolores existe vraiment. Il va être obsédé par l’idée d’amener les robots à la conscience, et semblera vouloir créer ce déclic par l’intermédiaire de la torture. Il devient l’homme en noir et défonce du robot pendant 35 ans. Toute cette démarche finalement vaine sera symbolisée par cette idée de labyrinthe. Je trouve l’image de cet homme qui passe le tiers de sa vie dans un parc d’attraction à la poursuite d’un mirage désespérément saisissante.
Le parc, en soi, est une métaphore de l’obsession. On passe des espaces infinis réels à un lieu réduit, dans lequel on a plus de contrôle. C’est une fuite vers un refuge dans lequel il est plus facile de se réaliser. Et pour justifier cette réalisation, il faut que le parc soit plus qu’un simple parc de divertissement. Il faut lui trouver un sens supérieur qu’il n’a jamais eu vocation à avoir. On n'est pas loin de la psychose.
En fait, Westworld, c’est l’histoire d’êtres humains en quête de consolation pour des raisons qui leur sont respectivement propres, et qui cherche cette consolation dans la perspective de mener les robots à la conscience. Et la meilleure manière que les humains trouvent pour y arriver, c’est de pousser les robots à bout (encore une fois, on est pas loin de la définition Wikipédia du psychotique, qui face à ses contradictions peut être tenter de se réfugier dans la violence). Ils pensent pouvoir créer une sorte d’apothéose robotique, un glissement d’un État existentiel à un autre. On l’a vu pour William. Mais c’est aussi le cas pour Arnold et Ford. Westworld est leur bébé. La création d'un robot conscient serait leur chef d'oeuvre. Arnold sera le premier à se lancer sur cette voie. Il ira jusqu’à se détruire dans le cadre de cette ambition. Puis Ford prend la relève pour compenser la perte de son ami et associé. Il crée alors « Les rêveries », un programme qui a officiellement pour but de créer une illusion de sensibilité, mais qui pour Ford est le moyen d’un projet fou qui est d’offrir une véritable conscience aux robots. « Les rêveries » est un programme qui porte bien son nom. Ce n’est pas le rêve, propre à l’humain. Les rêveries sont des pensées vagues, sans but précis. Dans le cas des robots, elles offrent des chimères, un système d’impasses. C’est une partie du code qui force la programmation tout entière à se focaliser sur un problème qu’elle ne peut résoudre. Comme un Bug. Cela amène bien entendu à des comportements chaotiques et inattendus. Le robot peut alors sortir de son scénario, mais n’accède pas pour autant à la conscience. Alors, soit par résignation soit dans une dernière tentative désespérée, Ford amène Dolores à le tuer. Les robots craquent leur code qui les empêchait de tuer. On peut à la rigueur voir ça comme une révolution, absolument pas comme un éveil métaphysique. C’est tout au plus l’expression d’un programme débridé.
Il y a une mise en abyme qui s’opère. L’humain tente d’élever la condition du robot dans le but de s'extirper de sa propre condition. C’est comme si l’humain tentait de faire grimper toutes les formes d’existence d’un échelon dans la hiérarchie métaphysique. Le robot devient homme, l’homme devient Dieu. Dieu devient... je ne sais pas… Jim Morrison peut être.
Plein de questions se posent alors. Par exemple, Dieu, supposons qu’il existe pour le bien de cette critique, a-t-il créé l’homme pour compenser quelque chose de son côté ? Peut-être sommes-nous simplement l’objet de consolation d’un chagrin d’amour divin... S’offre alors à nous l’image d’un Dieu à la fois créateur et poète maudit. Et peut-être un peu rieur quand même. Parce que Westworld, c’est la vie maudite des hommes qui s’obstinent à devenir grands. Ils se perdent et s’épuisent au sein d’un parc d’attraction qu’ils ont créée. Mais ils oublient qu’à la base, la vocation du parc était le plaisir.
EDIT: citations arbitraires
human being in perfection ought always to preserve a calm and peaceful
mind and never to allow passion or a transitory desire
to disturb his tranquillity. I do not think that the pursuit
of knowledge is an exception to this rule. If the study to
which you apply yourself has a tendency to weaken your affections
and to destroy your taste for those simple pleasures
in which no alloy can possibly mix, then that study is certainly
unlawful, that is to say, not befitting the human mind.
Frankenstein, ou le Prométhée moderne, p57