Westworld
7.6
Westworld

Série HBO (2016)

Ex Machina [Critique de Westworld saison par saison]

Saison 1 :
Ouf ! L'espace de quelques épisodes assez ennuyeux à mi-parcours, on a eu vraiment peur pour "Westworld". En sur-complexifiant sa narration, en multipliant les énigmes au point de sembler s'acculer elle-même dans une impasse logique, la dernière série "de prestige" de chez HBO a vacillé : allions-nous vers une répétition de l'atroce "syndrome de Lost" ? L'intelligence et l'élégance de la conclusion proposée dans les deux derniers épisodes, qui boucle (à peu près) toutes les intrigues, et apporte des résolutions extrêmement satisfaisantes à toutes les questions soulevées, est tout à l'honneur des scénaristes de ce spin-off absolument fascinant du médiocre film de Michael Crichton : si la révolte pressentie des androïdes aura bien lieu, elle sera conduite hors champ, et c'est bien là la suprême élégance d'une histoire qui aura posée quelques bonnes questions sur la conscience de soi comme sur la morale et les petits (ou grands) arrangements que nous nous permettons avec elle. L'excellence d'Anthony Hopkins, que l'on retrouve enfin dans un grand rôle digne de son travail d'il y a 20 ans, la beauté fascinante des effets spéciaux, et la pertinence du sujet de la série, alors que l'humanité est à l'aube de l'avènement de l'intelligence artificielle tout en s'enfonçant dans une sacralisation du loisir sans tabou, compensent largement l'échec sans appel de la partie western de la fiction, ridicule et sans enjeu (car qu'est-ce qu'un western où nul ne peut mourrir?) ainsi que la multitude de petites incohérences dans l'univers créé (qui aura irrité les plus rationnels d'entre nous)... On attend désormais la seconde saison, peut-être située dans le Japon des samouraïs ?
[Critique écrite en 2017]


Saison 2 :
"Westworld" a tout du phénomène "baudruche", exagérément encensé lors de sa première saison, qui se dégonfle pitoyablement dès la seconde. Une bonne partie du public a en effet purement et simplement décroché au fil des 10 longs, longs et parfois pénibles épisodes, qui ont vu Jonathan Nolan - coutumier du fait, n'ayons pas peur de le souligner - et Lisa Joy complexifier à outrance leur narration, le tout pour traiter des thèmes qui par eux-mêmes ne sont pas simples. Même si Nolan a semble-t-il pris de haut les critiques lui reprochant les excès gratuits d'une conception entre-mêlant, plus encore que dans la première saison, plusieurs temporalités, mais également "réalité" et "virtualité", accusant la paresse intellectuelle du téléspectateur, on peut aisément lui rétorquer, comme Boileau, que "ce qui se conçoit bien s'énonce clairement"...


On ne peut pas nier l'intérêt de cette "réflexion" sur la nature de l'être humain ("un algorithme plus simple et plus primitif que ce que l'on aurait pu croire", comme il est dit en conclusion ici), la difficulté de vivre dans un univers "sans dieux", les défis que pose / posera bientôt une IA qui nous sera supérieure (peut-être même moralement, c'est l'un des grands sujets de cette seconde saison...), et, comme chez Philip K. Dick, les labyrinthes infinis de la réalité, qui n'est clairement plus ce qu'elle était ! Par contre, il est vraiment difficile de penser par soi-même à ces beaux sujets potentiels quand on passe son temps à essayer de remettre en place les morceaux de ce puzzle multi-dimensionnel qui nous est gratuitement imposé, et qui nous prive finalement aussi du plaisir simple de contempler un spectacle qui est parfois, admettons-le, assez saisissant : le déferlement des taureaux-robots balayant le commando de "nettoyeurs", pour ne citer qu'un exemple, est une scène à l'étrangeté et à la beauté qui dépassent largement le discours assez pédant finalement de la série !


Une grande faiblesse de "Westworld", déjà perceptible dans la première saison, est l'aspect sentencieux des dialogues - souvent des monologues, d'ailleurs - de personnages qui nous livrent d'interminables considérations obscures sur le sens de tout cela, au point de sombrer même de temps en temps dans le ridicule absolu. Bien sûr, on ponctue le tout d'échanges de coup de feu, mais cette alternance discours pontifiants / violence brutale devient tellement systématique qu'elle ne fait littéralement plus d'effet, au bout d'un moment. De même, la série loupe complètement sa délocalisation vers d'autres "parcs", que cela soit l'Inde des Maharadjas, vite évacuée, ou le Japon des samouraïs, totalement schématique et grotesque (témoignant bien de l'incompréhension profonde des Américains vis à vis des cultures orientales, soit dit en passant...), ce ne sont là que des visites "touristiques" qui n'apportent rien.


A l'inverse, la bonne surprise s'avère l'inclusion dans la série de scènes émotionnelles crédibles, fortes parfois, justifiées par le scénario qui nous montre les "I.A." capables de plus de sentiments que les humains : le plus bel épisode de tous est ainsi le huitième, se concentrant sur l'histoire de l'éveil à la conscience de l'indien Akecheta, un épisode qui prouve que si le sujet de "Westworld" est bien le questionnement sur la nature de l'humanité, il y a d'autres manières, plus efficaces et plus mémorables, de le traiter que la complexification systématique qui est l'option préférée de Nolan et Joy.
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/10/08/ocs-westworld-saison-2-ex-machina/


Saison 3 :
A la fin de la seconde saison de "Westworld", qui avait perdu une large majorité du public gagné par la première, Jonathan Nolan et Lisa Joy s’étaient retrouvés devant un véritable champ de ruines : plus personne de sensé ne comprenait rien ni à ce qu’ils voulaient nous dire de « tellement ambitieux », ni, et c’est beaucoup plus grave encore, ce qui était arrivé à des personnages dont on s’était progressivement détachés, à force d’être dans l’incapacité de saisir ce qui les agitait réellement (ne parlons même pas de « qui ils étaient », les mystères de l’identité et de l’humanité étant largement le sujet de la série).


Un « reset » était indispensable, et les showrunners ont eu l’intelligence de le faire : nouvel univers (celui de la race humaine, celui de la réalité, le monde des Parcs étant rapidement évacué avec quelques scènes assez grotesques dans l’Italie de la seconde guerre mondiale), nouvelle intrigue (les androïdes survivants et échappés des parcs d’attraction veulent se venger, en gros…) et nouveaux personnages, donc nouveaux acteurs, avec un Vincent Cassel ma foi assez convaincant en mode w-t-f et un Aaron Paul qui ne dépassera décidément jamais son personnage de "Breaking Bad". On passe à une sorte de thriller politique (puisqu’on a le droit d’y voir des références aux mensonges planétaires et au contrôle perpétuel auquel on veut nous soumettre) dans une ambiance Sci-Fi lustrée, mais un peu esthétiquement dépassée avec cette accumulation de luxe et de technologie qui nous paraît désormais loin de notre véritable futur (on appréciera le design des véhicules… c’est déjà ça). Si on ajoute des combats spectaculaires, super-cools, et absolument pas crédibles plus ou moins à chaque épisode, "Westworld" saison 3, c’est un peu le reboot de "Matrix" pour 2020, mais sans, malheureusement, l’idée géniale à la base qui justifie tous les débordements.


Le sujet de cette troisième saison, c’est le « libre arbitre », ce qui prouve que, si la forme est devenue beaucoup plus accessible, voire ludique, l’ambition continue à être débordante chez Joy et Nolan. Pourtant, les scénaristes ne se décidant pas pour autant à rendre compréhensibles au simple mortel les péripéties de leur récit, le téléspectateur va avoir besoin à nouveau de se mettre en mode « je regarde, mais je n’essaie pas de comprendre ce qui se passe ! » pour pouvoir supporter la vision de ces 8 épisodes – au lieu des 10 habituels, ce qui est déjà un progrès ! Si l’on ajoute que la manière dont les humains sont privés de ce fameux « libre arbitre » par les diaboliques multinationales du Big Data qui contrôlent leur destin est pour le moins difficile à saisir, et que la quasi-immortalité de personnages au corps réplicable fait qu’on ne sent pas particulièrement préoccupé par quoi que ce soit qui puisse leur arriver, les limites de "Westworld" sont vite atteintes.


Moins sérieux, moins solennel, "Westworld" n’en est pas devenu plus intelligible, mais au moins il a regagné quelques points en matière de « divertissement SF », tout en sacrifiant – ce que l’on est en droit de regretter – une bonne partie de son originalité. Et, ce que la série n’a toujours pas trouvé, c’est le plus important, c’est-à-dire une « âme » : alors qu’elle n’arrête pas de nous dépeindre le calvaire de ceux qui n’en ont pas (… d’âme !), il est finalement triste que "Westworld" se contente d’être un spectacle hors de prix qui se préoccupe surtout de nous impressionner à travers des images bluffantes et des situations cherchant l’originalité plutôt que la vraisemblance. Quelque part, ce paradoxe montre l’échec du projet de Nolan et Joy.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/05/09/ocs-westworld-saison-3-reset/

EricDebarnot
6
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le 18 déc. 2017

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Eric BBYoda

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