Nous étions pourtant prévenus. Lors de la sortie de l'inaugural Silent Alarm il y a pile deux ans, voici comme se concluait l'interview que nous avait accordé Kele Okereke, chanteur de Bloc Party : "Nous voulons travailler sur de nouveaux morceaux, voir vers quelles directions nous allons pouvoir nous diriger. La force de ce groupe, c'est que tout le monde tend vers le même but. Chacun connaît ses fonctions. C'est pour cela que je suis confiant en notre avenir. Je crois que nous allons poursuivre notre marche en avant. Parce que telle est notre volonté". Ces mots expriment sans fard une assurance impressionnante, un désir d'avenir presque indécent au moment où le groupe monte sur le trône du rock indépendant britannique, dont le coussin doré porte encore l'empreinte du fessier d'Alex Kapranos et de ses glorieux Franz Ferdinand. Pas question de savourer cette prise de pouvoir avec indolence, Bloc Party ignore la paresse et fait preuve d'une qualité hautement soupçonnable de nos jours : l'ambition. À peine le détonnant Silent Alarm exposé, le futur semble déjà réfléchi, pensé, presque écrit. À tel point qu'apparaissait la crainte de voir la formation anglaise ployer sous le poids d'une cérébralité accablante, de sentir sa "foudroyance" électrique et son envie pressante de grandir s'annihiler. Mais dès l'ouverture de ce second effort, Song For Clay (Disappear Here) et Hunting For Witches nous rassurent en deux éclairs. Bloc Party délivre toujours cette musique en perpétuel état d'urgence, un rock intraveineux à bout de nerfs qui effleure sans cesse la crise pour s'enorgueillir de ne pas l'avoir bêtement piquée, qui coupe le souffle pour ne pas devoir en expirer un dernier, qui court à sa perte pour mieux la dépasser et la narguer du coin de l'oeil. A Weekend In The City n'est donc pas le disque de la révolution, mais celui de la rupture tranquille. Car, après tout, "chacun connaît ses fonctions", et elles restent intangibles : Matt Tong s'est mis en tête d'aplatir la Terre à chaque coup de pilon donné, Gordon Moakes et sa basse infaillible l'accompagnant avec aplomb dans sa volonté d'aplanir tout ce qui bouge, et Russell Lissack mitraille ses riffs incandescents polis au papier de verre qui nous assaillent comme autant de coups de griffes cinglants. Le chant de Kele Okereke s'avère, lui, plus assuré que jamais, ample et enveloppant, comme s'il avait décidé d'éprouver une voix chargée en émotion pour mieux sublimer des paroles chargées de sens. Si chacun s'échine donc à remplir sa mission avec application, The Prayer donne la mesure de l'ampleur nouvelle acquise par le groupe. Un premier single d'une envergure étonnante qui se déploie d'abord sous la forme d'une incantation vocale et rythmique rappelant TV On The Radio, et se poursuit par une ascension mélodique étourdissante percluse de synthés diluviens et amplifiée par un chant d'entrailles remarquablement affecté. L'évolution est alors flagrante. Là où le groupe était auparavant obsédé par une frénésie de tous les instants que ses compositions n'arrivaient pas toujours à supporter, les soubresauts de Matt Tong et la voix remplie d'âme de Kele Okereke plantent désormais avec grâce les jalons inamovibles d'un songwriting qui gagne en densité et combine lyrisme impérial et envie d'en découdre coûte que coûte. On et Where Is Home? fonctionnent sur cette dynamique, lançant en éclaireurs des intonations bowiesques, avant qu'une rythmique implacable ne vienne catapulter une mélodie sublimée. Les références au post-punk deviennent alors dérisoires, tant on navigue ici dans les hautes sphères d'un rock total capable de fusiller les jambes, de lacérer les coeurs et d'interpeller les consciences, avec un Uniform surdimensionné comme parfait point d'orgue. Plus loin, si le plus classique I Still Remember fait figure de single à l'évidence furieuse et carillonnante, Sunday et SRXT saisissent par une beauté désertique capable d'exploser en mille sentiments, comme une grenade à fragmentation lancée en plein corps. On y saisirait presque la même sensibilité désespérée, le même souffle mélodique asservi par l'affectif que l'on décèle chez les Allemands de The Notwist, l'instrumentation organique se substituant bien sûr à l'électronique millimétrée. Un final criblé de peines pour un album qui s'écoute comme on traverserait un champ de bataille, entre agressions impitoyables et accalmies salvatrices, résignation et délivrance. Un disque entier, si dense et intense qu'il parvient à vous prendre aux tripes tel un poème acéré et écorché. En guise de conclusion idéale au témoignage initial, on en viendrait presque à détourner l'écrivain Audiberti pour prêter à Kele Okereke ces quelques vers : "À mon tour il faut que j'éventre/Le rock afin de m'y vautrer/Qu'il sente que je lui rentre/La pointe de mon coeur outré !" (Magic)


Deux ans se sont écoulés entre Silent Alarm et A Weekend in the City. Deux ans et quelques minutes fatidiques ; par quatre fois, entre 8 h 50 et 9 h 47 le jeudi 7 juillet 2005, Londres était frappée au cœur, mutilée aux corps par la furie terroriste. La métropole, ville ouverte aux individus fermés, sombrait un peu plus dans ce qui transpirait déjà dans Silent Alarm ; la peur de l'autre, la paranoïa paralysante, la surveillance généralisée, les tensions communautaires ? autant de poisons, et autant de carburants pour le voyeur acéré de la modernité chancelante qu'est Kele Okereke.

Le deuxième album des Londoniens frappe ainsi, littéralement, dès Song for Clay (Disappear Here) : ça déconnait assez peu sur Silent Alarm, ça déconnera encore moins sur A Weekend in the City. La grâce et l'agilité sont là, intactes et grandioses, mais le son s'est épaissi, les rythmes appesantis, sous la houlette un peu grossière de l'ancien punk de Compulsion et néoélectronicien Jacknife Lee.
Complexifiant joliment son écriture (l'impressionnant dédale de Uniform, la magnifique Waiting for the 7.18, le single The Prayer, aussi puissant que tordu), multipliant les assauts soniques, en voisins de Voie lactée de Mogwai (SRKT), le groupe est passé du nerf à vif à la rage pure, de la mélancolie des bus qui se traînent à la tristesse de ceux qui explosent. Son puissant sens du drame quotidien s'est mué, sur certains morceaux, en frayeur des coups ? on danse toujours aussi furieusement, avec toujours autant d'âme, mais dans l'esquive permanente d'une fine pluie de plomb, dans le fantasme froid de la menace incessante. (Inrocks)


The Prayer", le premier single extrait de "A Weekend in the City", avec ses chœurs vaguement gospel, son rythme lourd et les vocalises aiguës de Kele Okereke, laissait un peu imaginer le futur de Bloc Party comme un avatar londonien des expérimentations de TV on the Radio. L'écoute attentive du nouvel album détrompe un peu cette impression. Certes, on retrouve quelque chose de ce mélange de visions urbaines acides et de délires vocaux archaïques qui fait l'identité des New-Yorkais. Mais Bloc Party, groupe résolument anglais, n'a rien perdu par de son tranchant rythmique, de ses parties de guitare montées en vrille qui gardent un écho du post-rock insulaire. Non seulement ces caractéristiques subsistent mais elles sont quelque peu exacerbées sur les morceaux les plus rentre-dedans du disque, à commencer par l'idéale introduction de "Song for Clay (Disappear Here)", morceau à double détente, à la fois romantique et martial, l'électronisant "Hunting for Witches" ou la composition à tiroirs (non-je-ne-crains-pas-Radiohead) "Uniform". Ceux qui doutaient de la forme et de la longévité du groupe peuvent se payer, les yeux fermés, le téléchargement de ces morceaux-là. Mais le groupe ne se contente pas du surplace, évite les redites (pas de tuerie dance-floor évidente du type "Banquet") mais pas les envolées lyriques (la voix de Kele garde sa petite résonance curienne, mais aborde les territoires les plus divers, du chuchotement à l'imprécation). Un peu partout, la modification de petits détails dans le traitement des voix, les arrangements et la production, donne la certitude que le groupe, en se cherchant encore et partout, s'invente une vie en forme de palpitation urbaine imprévisible. La beauté du danger n'a rien perdu de sa séduction. (Popnews)
Une écoute rapide du second album de Bloc Party, "A Weekend in the City", nous donne immédiatement l'impression que le groupe a décidé de ne pas complètement rééditer la recette de "Silent Alarm". Certes, le disque contient un ensemble de salves d'une redoutable efficacité, mais quelques changements dans le son semblent indiquer que le groupe recherche de nouvelles orientations dans ses compositions.L’album s’ouvre calmement sur Song for Clay (Disappear Here), en référence au premier roman de Bret Easton Ellis - "Moins Que Zéro" - avant de basculer, avec une immense intensité, vers les rythmes d'une puissance folle auxquels le groupe nous avait habitué : riffs de guitare stridents, batterie marquée d’une impressionnante précision, et la voix magnifiquement aigue de Kere Okereke émergeant au milieu de ce chaos. Les compositions sont devenues plus amples et les arrangements complexes sont désormais enrichis de samples, comme en témoignent les superbes Waiting For The 7.18 ou encore The Prayer, qui débutent sur une tonalité quasiment électro. Enfin on tombera sur les rotules à l'écoute de la démonstration de force qu'est Uniform, véritable morceau de bravoure d'une tension quasi palpable.

Mais malgré l'ultra-efficace Hunting for Witches, autant taillé pour les salles de concerts que pour les dance-floors, Bloc Party choisi de calmer un peu le jeu pour laisser la place à des constructions plus modernes que l'étiquette post-punk affichée jusqu'alors comme référence. Une progression qui se veut moins démonstrative afin de véhiculer des climats beaucoup plus sombres. Ambiances qui s'accordent particulièrement avec les textes de Kere Okereke, oscillant entre des tensions et névroses post-11 septembre et l'intimité du chanteur. Mais malgré cette mise à nu courageuse, certains morceaux peinent parfois à décoller, comme On ou Sunday. Heureusement les mélodies efficaces de I Still Remember et le final emphatique de SRXT viennent rattraper ses légères baisses de forme.Bloc Party semble parti pour suivre les traces d’un certain quintette d’Oxford, qui, il y a plus de dix ans, arrivait au même point avec un deuxième album efficace, mature, et prompt à conquérir la planète. Si le parallèle avec Radiohead se confirme, on attend la suite avec impatience. (indiepoprock)

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le 27 févr. 2022

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