"Crash the system, diva doll" : Eusexua selon B.A.M.

FKA Twigs fait partie de ces artistes dont on entend plus aisément parler sur des forums et magazines musicaux qu’en radio ou à la télévision. Pour autant les critiques concernant son travail sont souvent positives voire très positives, de quoi donner envie de lui prêter une oreille ou même deux. La publication début 2025 de son album Eusexua, lui aussi succès critique, fut donc l’occasion pour moi de me plonger dans sa discographie qui m’était jusque-là inconnue. Des mélodies pour la plupart assez épurées et mélancoliques, à l’image de son plaisant album de 2019 intitulé Magdaleine.

De son vrai nom Tahliah Debrett Barnett, FKA Twigs apporte certes de l’importance à ses chansons mais aussi à l’imagerie de ses albums, quitte à faire grincer des dents. Sur Eusexua, c’est le corps (dés)articulé qui est mis à l’honneur. Pas simplement pour donner un aspect sexy à la chanteuse mais plutôt montrer que le corps est un matériau artistique. Le corps est aussi un moyen de faire passer une forme de jouissance, pour la donner comme la recevoir. Et l’on commence alors à faire le lien avec cet étrange terme « eusexua » qui n’a pas nécessairement une connotation sexuelle mais plutôt de la jouissance en général, au dire de FKA Twigs. Un concept qui ne s’apprivoise donc pas si aisément et il en va de même pour l’album, dont la première écoute laisse un goût d’étrangeté.


Pour ma part, cela démarre plutôt bien avec « Eusexua », à la fois chanson éponyme au projet et premier single qui en fut extrait. On y retrouve la voix délicate de ses précédents opus et une musique électronique qui se fait progressivement plus rythmée pour une entrée en matière réussie. Le clip-vidéo qui l’accompagne, en mode "esprit qui s’évade alors que je suis au bureau", est en réalité deux-en-un car il s’ouvre sur « Drums of death » que l’on retrouve plus tard dans la tracklist. Mais en attendant, c’est « Girl feels good » qui succède à « Eusexua ». Et là aussi il se dégage une atmosphère plaisante, qui évoque illico les sonorités de l’album Ray of light de Madonna paru en 1998 – une des plus grandes réussites de sa carrière. Le résultat n’est donc pas très original mais ne peut être que positif puisqu’il s’inspire d’une œuvre de grande qualité.

« Perfect stranger » rappelle elle aussi quelque peu une des grandes figures Pop mondiales avec un son à la Kylie Minogue période Fever… mais un poil trop timide notamment niveau vocal. Dans ce second single extrait, FKA Twigs dit qu’elle n’a pas besoin de connaître la vie de son partenaire pour se sentir bien avec lui. Finalement l’une des pistes les moins expérimentales de l’album, ce qui n’est pas le cas de « Drums of death » que l’on retiendra pour sa structure et son côté percutant. « Room of fools » s’essaie quant à elles à des sonorité davantage techno-dance sans pour autant vous en mettre plein les oreilles ce qui la rend assez légère. Probablement l’objectif de légèreté était-il recherché aussi pour « Sticky » mais sans y parvenir selon moi du fait de cette façon de chanter pas franchement agréable à entendre et d’une musique sans saveur.

Si dans sa première moitié « Keep it, hold it » utilise une boucle répétitive, un tournant s’opère ensuite pour rendre la piste davantage dynamique avant de retomber à nouveau, pour un rendu assez original. On notera également la présence de quelques sons qui évoquent un peu l’extrême Orient, une source d’inspiration davantage assumée dans « Childlike things » dont le style enjoué, tape-à-l’œil voire enfantin contraste avec le ton du reste de l’album. Il s’agit également du seul duo vocal présent dans l’album puisque FKA Twigs partage le titre avec North West, la fille de Kanye, dont l’unique intérêt de son intervention dans le second couplet est de parler du Japon. Peut-être la seule chanson de l’album qui possède un potentiel radiophonique.

L’intéressante « Striptease » offre ensuite un contraste entre des couplets tendance trip-hop interprétés avec davantage d’expressivité dans l’élocution et des refrains mesurés et sensibles. Le clip-vidéo, tourné dans un tunnel routier, a lui aussi de quoi interpeller. Si l’album s’avérait écoutable jusque-là, « 24h dog » vient alors se greffer comme une épine dans le pied ou plutôt dans l’oreille, perso son « I’M a DOG FOR YOU, AAAAH-AH-AH-AH » m’est insupportable. Heureusement qu’il ne s’agit que de l’avant-dernière piste, sinon j’aurais pris peur pour la suite ! Mais « Wanderlust » rattrape un peu le coup grâce à son refrain mélodieux qui rappelle les précédents travaux de FKA Twigs – par contre les couplets me laissent dubitatif…


À travers son projet Eusexua, FKA Twigs parvient finalement à se soustraire des codes de la beauté physique, de la structuration classique des chansons, de la manière de concevoir le fond musical, de la façon de chanter et de travailler la voix (des mots parfois prononcés du bout des lèvres, la présence du vocoder, etc) quitte à déranger. On peut alors qualifier l’album de semi-expérimental, auquel cas l’auditeur se retrouve un peu circonspect à l’issue de la première écoute. Cet univers n’est toutefois pas sans évoquer plus ou moins des références telles que Madonna, Björk ou Kate Bush.

Le rendu s’en trouve mitigé à mon goût, avec des pistes tantôt appréciables (« Girl feels good », « Room of fools »), tantôt étonnantes (« Drums of death », « Striptease »), tantôt médiocres quand la provocation auditive tombe à plat comme « Sticky » ou « 24h dog ». Le grand public a d’ailleurs eu du mal à adhérer à un disque si sophistiqué, électronique et expérimental. Cela n’empêche pas la critique musicale et le public sensible à l’hyperpop d’applaudir FKA Twigs qui semble préférer cela plutôt que de chercher à attirer l’attention du grand public justement – une intention louable d’ailleurs. Mais en ce qui me concerne ne comptez pas sur moi pour qualifier Eusexua de "meilleur album de 2025" !

Born-lAme-en-Music
6

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Créée

le 18 sept. 2025

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