Une réinvention maîtrisée sous psychédélisme vintage

Avec Lousy with Sylvianbriar, of Montreal opère un virage esthétique aussi inattendu que rafraîchissant. Fini les textures synthétiques éclatées et les échappées électroniques baroques : Kevin Barnes choisit ici la voie d’un rock psychédélique lo-fi, fortement imprégné de l’ombre des années 60 et 70. Mais loin d’un exercice de style nostalgique, l’album sonne comme une reconquête de l’essence même de l’écriture musicale.


Ce que j’ai trouvé particulièrement réussi, c’est cette impression que l’album respire mieux, qu’il prend son temps sans pour autant perdre en intensité. La production, plus rustique, plus directe, donne une densité nouvelle aux morceaux. L’inspiration y semble plus brute, plus incarnée. On pense à Dylan période Blonde on Blonde, aux errances électriques du Velvet, voire à des teintes country-rock à la Gram Parsons. Pourtant, Barnes ne se contente pas d’imiter : il filtre ces influences à travers son univers singulier, les fait siennes avec une sincérité étonnamment touchante.


Dès "Fugitive Air", l’album attaque avec une urgence fébrile : guitares acérées, rythmique nerveuse, chant râpeux – on est happé. Puis viennent des titres comme "Obsidian Currents" ou "She Ain’t Speakin’ Now", plus mélancoliques, presque fragiles, qui dévoilent une facette plus vulnérable de l’album. Ce sont ces moments-là que je retiens le plus, où l’énergie brute se teinte de pudeur.


Mais ce qui mérite une attention toute particulière ici, ce sont les paroles. Fidèle à son habitude, Kevin Barnes manie une écriture dense, souvent cryptique, toujours évocatrice. Mais là où ses textes pouvaient parfois paraître hermétiques voire ésotériques dans ses précédents albums, ils gagnent ici en clarté émotionnelle. Il y a une forme de mise à nu nouvelle, moins masquée par des artifices ou des jeux de rôle. Des phrases comme « I'm in a crisis of meaning » ou « You’re my twin, but the one that’s evil » frappent par leur ambivalence et leur franchise brutale. L’introspection se fait plus frontale, plus poétique aussi, comme si cette esthétique plus épurée avait permis à Barnes de se recentrer sur des vérités plus simples, plus viscérales.


Cela dit, l’album n’est pas exempt de faiblesses. Certains morceaux, comme "Colossus", peinent à décoller malgré des intentions intéressantes. Le rythme global peut sembler inégal, et tous les titres ne marquent pas de la même façon. L’abandon de l’exubérance sonore propre à of Montreal pourra aussi déstabiliser les amateurs de ses œuvres les plus éclatées. Mais ce recentrage n’est pas un repli : c’est une redirection lucide et assumée.


En conclusion, Lousy with Sylvianbriar est un album de transition réussi, riche en textures et en émotions. Ce n’est pas une révolution dans la discographie du groupe, mais c’est une proposition sincère, habitée, cohérente – et surtout, courageuse.


Note personnelle : 7.5/10

Un tournant modeste mais essentiel, où l’émotion brute prend enfin le dessus sur le masque.

CriticMaster
7
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le 17 avr. 2025

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