Lulu
2.9
Lulu

Album de Lou Reed et Metallica (2011)

Pourquoi envers et contre tout j'aime cet album

C'est devenue une collaboration légendaire par son absurdité apparente, un album honni par une communauté solide et mondiale de métalleux, un disque fait pour être divisé mais qui aura du mal à accomplir cette tâche pourtant famillière chez Lou Reed : le chanteur du "Velvet Underground" travaillant avec les musiciens de "Master of Puppets". Beaucoup parleront même de contre-nature. Et ça ne loupera pas : même si je trouve que l'alliance Frank Wedekind-Metallica est autrement moins évident, c'est bel et bien l'alliance musicale qui provoquera un tollé tel que partout on criera au suicide collectif.
Personnellement, j'aime les deux éléments : Lou Reed avec "Berlin" et Metallica avec "Kill Em'All" sont des artistes qui ont en commun de ne pas être soumis à l'attente de leur public. C'est l'une de raisons pour laquelle, selon moi, cette collaboration n'est pas si improbable que ça. Lou Reed parlait des sujets de Metallica des années avant que ces derniers débutent. Metallica joue une musique qui résonne énormément avec les aspirations et la vie même de Lou Reed. En sachant que ce dernier a exploré plusieurs genres de rock, et que cet album est avant-tout le sien, en quoi l'exploration du métal serait inappropriée ? En ce cas, pourquoi ne pas bosser avec l'un des meilleurs représentants ? Et puis, je ne peux m'empêcher de penser à d'autres collaborations à priori bien plus contradictoires mais qui ont très bien marché : Serge Gainsbourg avec les musiciens de Bob Marley ? Robert Fripp et Brian Eno ? Enfin, à l'écoute de cet album, une persuasion reste pour moi incontestable: Lou Reed et Metallica ne se sont rien imposés. Ils se sont trouvés. Ils s'amusent ensemble, ils aiment ce qu'ils font (de là à dire que c'est le meilleur album de tous les temps, bon, entre le chanteur qui dit ça à chaque album depuis le troisième Velvet et le groupe se déclarant comme le plus grand groupe d'hard rock de tous les temps, à quoi fallait-il s'attendre ?), et pour moi leur complicité transparaît des enceintes. En gros, leur collaboration ne dérange que les fans : eux, ils ont juste voulus mélanger des gènes contraires pour explorer quelque chose de NOUVEAU. Et concernant les deux cas (plus Metallica que Reed tout de même), c'est un véritable coup de jeune qu'ils s'offrent et un sacré coup de fouet audacieux.
Mais je comprends qu'on déteste cet album : Reed n'a jamais eu pour ambition d'être aimé par tout le monde, Metallica non plus malgré le malentendu mondial. Forcément, eux 5 combinés, l'album ne pouvait qu'être inconfortable. Ils ont par ailleurs tout fait pour que l'album soit inabordable, surtout en oreille attentive : morceaux étirés au maximum, spoken-word anarchique et production hésitante, que demander de moins ? Et effectivement, je suis d'accord. Ce double album dure 1 h 30 et vu le principe de morceaux étirés, l'ennui peut s'installer si l'écoute est exclusive et si on n'est pas bilingue. Le parlé de Lou Reed se plaque un peu quand il veut et où il veut, avec un ton monocorde à tout épreuve. La production ne cherche pas à se diversifier, se reposant sur ses lauriers et ses artistes, et ainsi laisse peu de place à une texture sonore arrière.
Mais, justement, c'est ça également qui m'a plu. Les morceaux étirés, tel des séquences de Leone ou de Tarr, ont été pour moi des plages instrumentales à savourer. Le meilleur exemple est "Dragon" : introduction très belle, puis riff qui déchire sa race. Ce riff sera rejoué, avec quelques légères différences et un pont tout aussi bon, sur environ 7 minutes de musique. Mais ça ne m'a pas plus dérangé que ça, parce que l'énergie, parce que l'enthousiasme, parce que l'instrumentalisation massive d'un groupe qui retrouve enfin du poil de la bête, parce qu'imaginer Reed déclamer des vers théâtraux sur cette matraque me fait jouir. Pour rebondir là-dessus, le parlé de Lou Reed bien évidemment marqué par la maladie (et par conséquent ses excès qu'il pratiquait depuis l'âge de 16 ans) m'a également plu pour leur côté "vieux singe qui déverse ses dernières peaux de banane". Il n'a jamais été aussi libre que sur ce disque. "Junior Dad" est d'ailleurs certainement un des morceaux qui lui ressemble le plus : que ce soit au niveau du titre (il n'a jamais été père), du deuxième segment en référence à ses activités méditatives (volontairement interminable, mais interminable quand même), ou même ouvrir un tel morceau avec un râle malgré sa voix cassée (fallait les couilles), ce morceau est un très bel épitaphe à une carrière chaotique mais magnifique. Quant à la production, j'ai aimé la manière dont elle a mis Metallica en retrait dès que Reed parlait et comment elle a replacée Metallica quand Reed se taisait, si bien que, définitivement, le spoken word et les guitares lourdes fonctionnent. J'en profite pour mentionner mon morceau préféré de l'album, "Little Dog", que j'ai trouvé émouvant. "The View" est selon moi trop facilement attaqué (même si, oui, le riff est trop répétitif), et l’ouverture "Branderburg Gate" est tout à fait bon. Mais je partage l'aversion pour "Mistress Dread".
"Lulu" est donc plus du côté prise de risque que du suicide collectif. Ils ont dû bien se marrer en voyant les réactions des gens, beaucoup moins lorsque les chiffres des ventes sont tombées. C'est sur cette collaboration que Lou Reed a tiré la langue au Monde pour la dernière fois. En parvenant à provoquer toute une communauté mondiale à travers Metallica, qui sans doute n'attendait que ça. Il laisse en dernier album sa plus étrange énigme.

Billy98

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