Il y a des albums qui ne cherchent pas à s’imposer, mais à s’insinuer. Palms (2013), né de la rencontre entre Chino Moreno (Deftones) et trois anciens membres d’Isis, fait partie de ces œuvres qui ne se dévoilent pas d’un coup, mais qui s’infiltrent lentement, presque discrètement. À mi-chemin entre le post-metal et l’ambient rock, le disque explore des territoires intérieurs faits de contrastes, de flou et de lumière voilée. S’il ne m’a pas totalement renversé, il m’a pourtant captivé — suffisamment pour que je lui accorde un 7.5/10, porté par la richesse de ses atmosphères et la sincérité de son intention.
Dès les premières secondes, Palms impose une texture sonore dense mais fluide. Les guitares, amples et liquides, construisent un paysage mouvant, presque organique, sur lequel la voix éthérée de Chino Moreno plane comme une brume légère. On sent clairement l’héritage d’Isis dans la manière dont les morceaux s’étirent, évoluent sans rupture, préférant la montée progressive à l’explosion. L’influence de Chino, elle, se ressent dans la sensibilité mélodique, dans cette manière très singulière de chanter avec le souffle, la retenue, parfois même l’effacement.
Là où Palms gagne encore en profondeur, c’est dans son travail textuel. Les paroles, souvent cryptiques, relèvent davantage de l’évocation que du récit. Moreno n’écrit pas des histoires ; il trace des impressions, des fragments d’images mentales. Dans “Future Warrior”, il évoque des paysages changeants, des sensations flottantes : “So much like water, I keep flowing down / Let me fall forever”. Ce sont des paroles ouvertes, à la fois poétiques et abstraites, qui laissent au silence et à l’écoute le soin de compléter le sens. On y perçoit des thèmes récurrents — la fuite, la transformation, le détachement — qui s’accordent parfaitement avec l’esthétique sonore du groupe.
L’aspect introspectif est omniprésent, mais jamais pesant. Moreno semble parler depuis un lieu intime, intérieur, sans pour autant sombrer dans l’égocentrisme. Il préfère rester dans le flottement émotionnel, là où les mots deviennent presque des textures, au même titre que les nappes de guitares ou les rythmes étirés.
Malgré cette richesse d’atmosphère, Palms souffre d’un léger manque de variété. Passée la fascination des premières écoutes, j’ai ressenti un certain aplatissement. L’absence de contrastes nets entre certains morceaux peut rendre l’ensemble un peu monotone, surtout si l’on n’est pas pleinement immergé dans l’écoute. Il manque parfois une prise de risque, une rupture franche, un moment d’éclat qui viendrait réveiller ou bousculer l’équilibre établi.
Heureusement, certains titres parviennent à élever l’ensemble : “Mission Sunset”, avec sa progression lente et hypnotique, s’impose comme un sommet émotionnel. “Patagonia”, quant à lui, condense tout ce que le groupe fait de mieux : tension contenue, voix spectrale, montée crescendo vers une lumière incertaine.
Ce qui fait la singularité de Palms, c’est son refus de la structure classique. Ici, pas de refrains évidents, peu de repères : l’album fonctionne comme une dérive. C’est à la fois sa force et sa limite. Il ne cherche pas à plaire, mais à faire ressentir. Il exige une certaine disponibilité d’écoute, une attention qui accepte de se perdre un peu. Et quand on accepte cette dérive, le disque devient presque méditatif, comme une bande-son de pensées qu’on ne formulerait pas vraiment.
Palms ne se donne pas tout de suite, et ne cherche pas à séduire frontalement. C’est une œuvre atmosphérique, presque impressionniste, où chaque détail sonore participe d’un ensemble fluide et cohérent. Sa poésie discrète, son refus de l’immédiateté, et son goût du non-dit en font un disque à part. Il m’a manqué un peu plus de contraste ou d’aspérité pour en faire un incontournable, mais il m’a offert un vrai moment de suspension. Une écoute précieuse, sincère, qui mérite d’être revisitée, surtout à l’heure où tout doit aller vite. Palms, lui, prend son temps — et c’est aussi pour ça qu’il vaut le détour.