PRETTY DOLLCORPSE est un album que j'écoute en boucle depuis sa sortie (il y a 4 jours au moment où j'écris).
Je vais le dire tout de suite : je n'ai pas les compétences musicales pour juger des prods de Neophron. Je vais donc commencer par saluer son travail gigantesque, que j'ai beaucoup apprécié et qui est en grande partie responsable de la qualité de l'album, sans pouvoir rentrer dans des détails techniques. Il est le premier liant qui permet à Ptite Sœur et FEMTOGO de mélanger leurs univers, il a sans doute eu aussi une place dans le choix de l'ordre des morceaux qui est très pertinent et suit plutôt bien le concept de l'iceberg montré sur le dos de la cover. D'abord de la colère, et puis plus on creuse plus l'album devient dur, quand on comprends les traumas qui se cachent sous la surface, avant de finir sur de la tristesse. Pour autant, il n'est jamais assommant. Au global, on a plutôt envie de se révolter contre l'injustice subie par les artistes que de rester chialer dans son coin (même si les larmes ne sont pas loin). C'est vraiment un album à (ré)écouter dans l'ordre, comme une œuvre entière plutôt qu'en mettant quelques morceaux dans une playlist ou une autre.
L'écriture, que ce soit de la part de Sœur ou de Femtogo, est parfois pudique, en donnant des bribes d'évènements vécus sans trop en raconter. Il y a par exemple un lien entre Femtogo et les toilettes, il dit dans Sixth Floor "Si Dieu existait réellement, pourquoi il m'a laissé mourir dans des toilettes ?", c'est mentionné plusieurs fois dans l'album sans qu'on sache réellement ce qu'il s'est passé (même si on peut facilement le supposer au vu de ce qu'il raconte d'autre). Mais quand elle n'est pas pudique, l'écriture est très précise. Dans Geiger counter, Sœur parle de sa transidentité en racontant "à neuf ans j'allais m'cacher pour danser dans les sapes de ma mère". Dans le même morceau, Femtogo parle de sa prostitution en disant "j'vendais mon corps à 17 ans dans l'F1 j'me faisais blowjob". Ce genre de phrases, terribles et trop précises pour être inventées sont nombreuses dans l'album.
Même lorsqu'on s'éloigne de la pure autobiographie, les morceaux sont très visuels, suintants, viscéraux. Au delà des paroles imagées "J'étais bloqué dans une cage, c'était tellement dément, j'ai rongé les barreaux, y la trace de mes dents" (Femtogo dans Evil Knivel) c'est beaucoup dû aux flows. Au début de l'album, Femtogo et Sœur enchaînent des flows effrénés, entêtants, haletant. Et puis, bien sûr, c'est aussi grâce aux prods de Neophron. Je pense en particulier à un autre passage d'Evil Knivel où Sœur parle de l'envie de se tuer, en racontant une tension sexuelle entre elle et un fusil de chasse. Les paroles, le flow, l'instru, tout est parfait, sale et dérangeant.
On peut ne pas aimer l'album pour des raisons tout à fait légitimes, mais on ne peut pas dire que ça rap mal. Et au delà du rap, ça chante aussi très bien dans les quelques morceaux plus mélodiques. Femtogo en particulier a une voix particulière, très touchante.
La collaboration entre Ptite Sœur et FEMTOGO a beaucoup fait parler lorsque le projet commun a été annoncé, mais en l'écoutant ça semble être une évidence. Les passe-passe sont d'une fluidité folle, les transitions entre les couplets aussi. Il semble même y avoir une admiration mutuelle puisqu'on a dès 100 000 lumen un pont dans lequel Femtogo introduit le couplet de Ptite Sœur en disant "j'suis effrayé carrément, je sais, elle va envoyer un truc derrière, vous allez serrer".
Politiquement, je trouve aussi l'album très pertinent. On a l'habitude d'un "rap de blanc" de classe moyenne, représenté notamment par Orelsan, mais PRETTY DOLLCORPSE n'en est pas vraiment à mon sens. Cet album, c'est du rap de white trash. Le rap de ceux qui ont grandit dans la précarité en campagne. Ceux qui allaient au collège bourrés parce qu'ils n'avaient pas d'autres option pour encaisser le harcèlement. Ceux qui ont été victime de violences sexuelles dès l'enfance. Ceux qui se sont prostitué. Ptite Sœur avait déjà parlé de sa transidentité, Femtogo fait son coming out gay dans l'album, en plus de leurs traumas communs. On a l'impression qu'être à deux, unis dans leur marginalité, leur a donné une force inébranlable.
Femtogo parle plusieurs fois de femmes trans comme de ses sœurs, bien loin des "LGB sans le T" qui plongent dans le fascisme en jetant les personnes trans sous le bus. On a d'ailleurs un "J'prie chaque jour un peu plus pour la mort de papacito" dès le premier morceau (hors intro). Papacito étant, pour celles et ceux qui l'ignorent, un influenceur fasciste.
Il y aussi une grande importance donné à l'indépendance artistique. De nombreuses piques visent des labels, et disent la fierté d'être en indé.
La vulnérabilité déployée dans l'album permet à beaucoup de personnes de se reconnaître, les VSS touchant les enfants étant un sujet plutôt tabou alors qu'en France, un enfant est victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle toutes les 3 minutes. D'autres albums en ont peut-être déjà parlé, je l'ignore, mais c'est très réussit ici et le petit succès de l'album permet de parler du sujet.
L'avenir dira quelle place PRETTY DOLLCORPSE prendra dans le rap français, peut-être qu'il restera anecdotique mais je ne serais pas surpris qu'il y ait un avant et un après.
De manière plus personnelle, c'est la première fois que j'écris une critique sur un album. J'essaye d'écrire sur tous les livres que je lis, sur les films pour lesquels j'estime avoir quelque chose d'à peu près pertinent à dire, mais comme je l'ai dis, je n'ai aucune compétence musicale donc c'est difficile pour moi d'expliquer pourquoi j'aime telle musique et pas telle autre, ou simplement de me trouver légitime à le faire. Pour cet album je fais une exception. Accordez à ma critique la pertinence que vous voudrez, mais j'avais besoin d'écrire tout le bien que j'en pense. C'est un projet fort, et même sans avoir les mêmes traumas que ceux racontés il m'a profondément touché.
Merci Sœur, merci Femto, merci Neo.