Lorsque sort le premier mini-album des Pixies, il faut encore choisir son camp. Pour qui préfère le rock anglais, l'enjeu du groupe est d'abord esthétique : les Pixies sortent leur disque sur 4AD, le plus beau label anglais de l'époque. Graphiquement parlant. Pour qui aime plutôt le rock américain, 4AD est un éditeur de pochettes-posters à punaiser au mur, en laissant les disques à l'intérieur, de préférence. Grâce aux Pixies, les disques de 4AD ne sont plus seulement beaux à regarder (ainsi, la pochette de Surfer Rosa influencera durablement notre libido), ils deviennent bons à entendre. En 1987, les Pixies possèdent le charme rare d'un groupe doté de pouvoirs immenses, dont il ne mesure pas encore l'étendue. Parfois, le groupe perd le contrôle de sa force : sur Vamos, c'est une guitare électrique qui se retourne contre son maître ; sur Caribou, c'est un chanteur qui se met subitement à hululer. On est surpris par la fraîcheur avec laquelle les Pixies sont en train de réinventer le rock. Comme David Thomas quelques années plus tôt, Black Francis fait de drôles de bruits, d'étranges collages : il greffe des jambes directement sur un cerveau, il transforme une guitare électrique en sirène de pompiers, il joue du flamenco sur une rythmique hardcore. Rock et flamenco, un heureux mariage pas vu depuis la surf-music des années 60, à laquelle les Pixies rendront bientôt plus d'un hommage (voir Vamos, sur le live de Death to the Pixies). Come on pilgrim et Surfer Rosa, c'est les castagnettes et la castagne. En 1987 et 1988, les Pixies sont encore des génies naïfs et déjà des génies heureux. Dans ces années croque-morts, les Pixies réveillent les morts. Contre les laborieux : Pixies. Contre les tristes mines : Pixies. Contre les chapelles : Pixies. Car la musique de Black Francis n'exclut personne. Sa violence n'est pas défensive, mais expansive. Assez rigolote, même. Le janséniste Steve Albini, producteur (raboteur ? élagueur ? nettoyeur ?) de Surfer Rosa, fait des miracles de non-intervention. Pour les chansons des Pixies, c'est sacre à la tronçonneuse. Dix ans après, ces deux disques crispés n'ont pas pris une ride. Etrangement, sur la réédition CD commune de Come on pilgrim et Surfer Rosa, la maison de disques a mis le premier après le second. Sans doute parce qu'il faut garder le meilleur pour la fin. (inrocks)