How deep is the ocean ?

Chronologie The Beach Boys - Part. 17 :

https://www.senscritique.com/liste/chronologie_the_beach_boys/4141338

"Surf's up" tient quasiment du miracle finalement. On sort de "Sunflower" , le pire échec commercial du groupe malgré la qualité de l'ensemble , Brian se met en retrait , Dennis ne souhaite pas participer à l'album suivant parce qu'il est gêné par les différences de tonalité entre ses morceaux et ceux des autres, et le contexte est forcément propice aux tensions , notamment au vu des différences de caractères entre les membres du groupe qui se font de plus en plus pesantes... Pourtant "Surf's up" est un véritable bijou, et à ce jour l'album le plus populaire du groupe après "Pet Sounds"... Quasiment un miracle , vraiment...

Et tout cela tient à une décision cruciale : la nomination de Jack Rieley en tant que nouveau manager du groupe. Dès son arrivée il propose une décision forte : désigner Carl en tant que leader officiel du groupe, ce qui a pour conséquence de clarifier le statut intermittent de Brian , génie incontestable mais instable, et sur lequel le groupe ne peut plus se permettre de compter pour assurer son avenir. Afin de clairement marquer ce changement, il aide Carl à co-écrire ses deux premières compositions : "Long Promised Road", qu'il enregistre quasiment seul , et "Feel Flows", morceau plus planant qui apparait comme une face sombre du "All I wanna do" de "Sunflower". Le premier est un rock'n'roll empreint de folk qui propose une plongée dans l'état d'esprit de Carl à ce moment là, forcé d'aller de l'avant pour le bien commun (dans un style de compo proche de Dennis je trouve) , et le deuxième aborde des sujets bien plus sombres, comme le spleen et la dépression (sans pour autant être pompeux) , et on devine que "Feel Flows" parle de manière un peu cachée de Brian et de sa dégringolade mentale, et à ce titre c'est le morceau très touchant d'un petit frère démuni et impacté indirectement par la dépression de son frère ainé. Pour achever de convaincre tout le monde, Carl place sur ces chansons deux solos de guitare absolument géniaux qui montrent qu'en plus d'être un formidable interprète, compositeur, chanteur et musicien, il est tout à fait taillé pour son nouveau rôle de leader des "Beach Boys".

En parallèle, Jack suggère également au groupe de s'éloigner de la tendance "joyeuse et optimiste" qui entourait leurs compos, un peu trop déconnectée de la réalité de son public depuis l'affaire Manson et l'escalade de la guerre au Vietnam, et d'essayer d'aborder des sujets plus adultes , plus sombres , plus en phase avec leur époque. Ce qui n'est pas déconnant, le groupe abordant depuis toujours les thématiques de l'eau , de la nature, de l'air et du bien être, il a simplement fallu déplacer un peu le curseur pour continuer à parler d'écologie mais de manière plus sérieuse , voire pessimiste. Les têtes de gondole les plus évidentes de ce nouvel état d'esprit sont le fabuleux "Don't Go Near the Water" qui ouvre le disque, excellente compo de Al et Mike sur la pollution des océans qui arrivent également à faire un rappel des thématiques surfs de leur passé, et le déchirant "A Day in the Life of a Tree" , qui se place du point de vue d'un arbre en train de périr, rare compo de Brian qu'il devait chanter à la base mais où la voix de Rieley a finalement été conservée alors qu'il l'avait enregistré simplement pour servir de modèle. A noter le cameo sympa dans l'esprit de Van Dyke Parks à la fin aussi, qui permet de faire un pont avec l'époque "SMiLE", tout comme le "Surf's up" qui termine le disque, réarrangé par Carl et dont les tonalités et thématiques conviennent parfaitement au contenu du reste de l'album (et à sa magnifique pochette).

Pour le reste on a deux supers morceaux composés par Al , dont le très fun "Take a Load Off Your Feet" , enregistré avec Brian et dont la conception date de la période "Sunflower" , ce qui tranche évidemment avec l'aspect sérieux de "Surf's up" mais je trouve quand même le morceau très cohérent et bien placé , et empreint d'une forme de noirceur cachée qui marche très bien ("Better take care of your life / Because nobody else will"). Le deuxième morceau de Al est un des plus discret du disque ("Lookin' at Tomorrow (A Welfare Song)") mais il est vraiment génial, petit morceau folk très froid et sombre, presque désespéré sur les rêves brisés de quelqu'un qui n'arrive pas à trouver de travail. On a également deux compos de ces gros lourdauds de Bruce et Mike , avec pour le premier le nostalgique / boomer "Disney Girls (1957)" qui fantasme un passé où les choses étaient vachement mieux , les filles correctement habillées et les jeunes bien coiffés. J'ironise un peu parce qu'elle a des aspects agaçants mais ça reste une bonne chanson. Quant au deuxième, ce bon vieux Michel Amour, il nous pond "Student Demonstration Time" , en fait une reprise de "Riot in Cell Block Number 9" , un morceau de R'n'B où il a changé les paroles pour parler des mouvements de protestation qui avaient lieu à l'époque, en particulier dans les universités. La chanson est chouette aussi mais c'est quand même très pataud et pas forcément toujours bien écrit (et visiblement les Wilson n'étaient pas fans du tout).

Quant à Brian , on a compris qu'il n'était pas très impliqué si on excepte "A Day in the Life of a Tree" ("Surf's Up" ayant été composé il y a plusieurs années, à l'époque de "SMiLE") , et pourtant.... Pourtant il place quand même encore une chanson, une des rares qu'il a composé et écrit entièrement seul.... Le magnifique "'Til I Die" , d'une simplicité aussi grande que sa profondeur, véritable crise existentielle enregistrée sur disque, d'une mélancolie sans borne , tout en proposant une richesse instrumentale indéniable et surtout un finish aux harmonies qui s'entremêlent comme pris dans les tourments infinis du temps... Top 5 de mes chansons préférées du groupe, et pas 5ème...

Je préfère peut être "Sunflower" d'une courte tête , mais ce "Surf's up" est définitivement un miracle ...