L’élégance bancale de l’émotion : un vertige doux-amer signé Spektor

Regina Spektor est une artiste qui ne cherche pas à plaire : elle cherche à dire. Et dans What We Saw From the Cheap Seats, son sixième album studio, c’est exactement ce qu’elle fait – avec ses bizarreries assumées, ses éclats poétiques et ses mélodies à la fois fragiles et brillantes. Une œuvre à l’image d’un panorama vu depuis les “cheap seats” : un peu flou, un peu lointain, mais chargé de sincérité.


L’album s’ouvre sur “Small Town Moon”, comme une vague douce qui pose le ton : Spektor reste fidèle à son style, entre pop alternative, piano minimaliste et envolées vocales inattendues. Ce qui frappe immédiatement, c’est cette capacité à capturer des émotions fugaces, des souvenirs à demi-formés, avec une justesse presque troublante.


Mais cette esthétique de l’instant, aussi touchante soit-elle, peut aussi devenir un piège. À force de chercher la spontanéité, l’album perd parfois en cohérence globale. Certaines pistes, bien que charmantes, donnent l’impression d’être des fragments juxtaposés plus qu’un tout pensé.


Des morceaux comme “All the Rowboats” ou “How” révèlent une Regina à son sommet : inventive, poignante, profondément humaine. La première mêle une tension sourde à un univers visuel presque dystopique, tandis que la seconde frôle la ballade classique avec une élégance désarmante. Ce sont dans ces instants que l’album touche au sublime.


À l’inverse, des titres comme “Don’t Leave Me (Ne Me Quitte Pas)” ou “Open” oscillent entre la légèreté charmante et une certaine naïveté qui peut désarçonner. On comprend l’intention : une volonté de casser les codes, d’embrasser une forme de candeur. Mais parfois, cette approche déroute plus qu’elle ne séduit.


Ce qui sauve même les morceaux les plus faibles, c’est Spektor elle-même. Sa voix, qui passe du murmure au cri, de l’anglais au français, de la douceur à l’ironie, reste l’élément le plus marquant de l’album. Elle ne cherche jamais à impressionner, mais à transmettre – et ça fonctionne.


Sa plume, aussi, mérite d’être saluée. Elle écrit comme on rêve : en images, en associations libres, avec cette capacité rare à rendre l’intime universel.


What We Saw From the Cheap Seats est un album qui s’écoute comme on feuillette un carnet de croquis : tout n’est pas fini, tout n’est pas égal, mais l’ensemble dégage une chaleur et une personnalité indéniables. Ce n’est peut-être pas le disque le plus maîtrisé de Regina Spektor, mais c’est probablement l’un des plus humains.


Je lui mets 7.5/10 pour ces raisons : un album sincère, souvent touchant, parfois déroutant, mais jamais inintéressant. On y sent la main de l’artiste plus que celle du producteur, et ça, ça vaut déjà beaucoup.

CriticMaster
7
Écrit par

Créée

le 14 avr. 2025

Critique lue 4 fois

CriticMaster

Écrit par

Critique lue 4 fois

D'autres avis sur What We Saw From the Cheap Seats

What We Saw From the Cheap Seats
CriticMaster
7

L’élégance bancale de l’émotion : un vertige doux-amer signé Spektor

Regina Spektor est une artiste qui ne cherche pas à plaire : elle cherche à dire. Et dans What We Saw From the Cheap Seats, son sixième album studio, c’est exactement ce qu’elle fait – avec ses...

le 14 avr. 2025

What We Saw From the Cheap Seats
Cellophane
6

Un album cheap ?

D'accord, il y a quelques chansons entraînantes, accrocheuse, comme "Oh Marcello", "Don’t Leave Me" ou "All the Rowboats".Globalement, sur l'album, la voix est douce, les musiques agréables même si...

le 6 sept. 2015

What We Saw From the Cheap Seats
TK-475
8

What we will see from the second row...

Je me réjouis déjà de voir l'album défendu sur scène en juillet au KKL !! La nouvelle version de "Ne me quitte pas", ne vaut certes pas celle de "Songs", mais c'est une bien belle et originale...

le 25 mai 2012

Du même critique

Battlestar Galactica
CriticMaster
9

Le pouvoir sous pression : politique en apesanteur

Battlestar Galactica (2004) n’est pas seulement une série de science-fiction, c’est un laboratoire politique sous haute tension. Si je lui ai mis 9/10, c’est parce qu’elle réussit à conjuguer tension...

le 3 juin 2025

2 j'aime

Des abeilles et des hommes
CriticMaster
9

Le bourdonnement d’un monde en péril

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un documentaire qui m’a profondément marqué : Des abeilles et des hommes, réalisé par Markus Imhoof en 2013. J’ai choisi de lui attribuer la note de 8,5 sur 10, et...

le 30 avr. 2025

2 j'aime

The Big Bang Theory
CriticMaster
7

Entre brillance conceptuelle et limites structurelles

The Big Bang Theory (CBS, 2007) s’est imposée comme l’une des sitcoms majeures des années 2000-2010, en grande partie grâce à son concept original et à sa capacité à intégrer la culture scientifique...

le 12 juin 2025

1 j'aime