Il y a dans With Love quelque chose d’étrangement magnétique. Ce double album signé Zomby, figure aussi insaisissable que respectée de l’électronique britannique, mêle la fulgurance à la frustration. C’est une œuvre dense, presque labyrinthique, où l’on se perd autant qu’on s’y attarde, captivé par une esthétique singulière et une construction volontairement éclatée.
Avec plus de trente-trois morceaux, souvent très courts (certains ne dépassent pas les deux minutes), With Love donne parfois l’impression d’une immense mosaïque de souvenirs sonores. Zomby y juxtapose des esquisses musicales, comme autant de vignettes fugitives. Cette approche, à la fois radicale et déroutante, rend l’écoute morcelée mais aussi riche d’interprétations.
Ce qui m’a réellement marqué, c’est cette sensation d’écouter un journal intime, fragmenté, parfois presque crypté. Des morceaux comme "Ascension", avec sa touche grime glacée, ou "Memories", mélancolique et brumeux, témoignent de la capacité de Zomby à dire beaucoup avec peu. À l’inverse, "Overdose" et "777" s’imposent par leur puissance percussive, flirtant avec la jungle et la rave old-school, sans nostalgie forcée.
Mais cette profusion de titres, si elle reflète la richesse de l’univers de Zomby, a aussi ses limites. Beaucoup de morceaux — "Pray For Me", "It’s Time", ou encore "Reflection In Black Glass" — laissent un goût d’inachevé, comme s’ils n’étaient que des embryons d’idées, abandonnés avant maturité. Cela peut frustrer l’auditeur en quête de développement ou de narration musicale.
Plutôt que de construire une progression ou un arc narratif clair, Zomby préfère ici la discontinuité assumée. Il passe d’un style à l’autre — grime, dubstep, 2-step, ambient, voire trap — sans transition, sans explication. On pourrait y voir un manque de cohérence, mais c’est aussi ce qui fait le charme singulier de l’album. C’est comme un zapping émotionnel, où chaque piste est un instantané, un reflet partiel de son imaginaire.
Cette esthétique volontairement fragmentaire évoque aussi un certain refus des codes de l’album traditionnel. With Love ne cherche pas à séduire, il cherche à exister, tel qu’il est : brut, parfois cryptique, souvent intense.
Au final, With Love est un album qui divise. Il demande du temps, de la patience, et surtout l’acceptation d’un format qui déroute. Mais il a ce pouvoir rare d’installer une atmosphère en quelques secondes, de hanter sans insister. Certains morceaux m’ont marqué durablement, d’autres sont passés sans laisser de trace — et c’est peut-être ce qui rend l’expérience si particulière.
Ma note de 7/10 reflète ce double sentiment : l’admiration pour une vision artistique singulière, mais aussi la frustration face à une forme qui empêche parfois l’œuvre de pleinement s’épanouir. With Love est moins un album qu’un état d’esprit, une immersion dans un univers fragmenté, mais sincèrement habité.