Erased
7.6
Erased

Manga de Kei Sanbe (2012)

Et finalement le coupable était le colonel moutarde

Je fus pris de rêveries dès les premières pages d'Erased. Non pas que l'œuvre en appelait instinctivement à une sensiblerie d'aucune sorte ou à je ne sais quel lyrisme bien compris, non, rien de tout ça. Un mangaka dépité et proche de la dépression nerveuse en guise d'introduction, rien ne pouvait me faire plus plaisir.
La dépression nerveuse aussi elle m'aura guetté à force d'en lire certains qui furent autant de mines anti-personnel sur mon parcours critique. J'observais un juste retour des choses en sommes. Que j'aurais aimé que ces mangakas furent aussi abattus que Satoru alors que je rétribuais leurs déjections-papier comme il se devait. Hélas... la plupart d'entre eux dorment trop profondément pour entendre mes aboiement de roquet ; il faut dire que le sommeil est profond lorsque l'on est paisiblement engoncé sur un tas de billets de banque. C'est ce que m'aura en tout cas inspiré cette entrée en matière qui, au regard de ce qui suivra, n'aura pas eu de raison d'être si ce n'est de justifier un élément de la conclusion dont tout le monde se doutait en entamant la lecture.


Tout ira bien, Satoru triomphera de tous ses ennuis et deviendra même mangaka comme il le désirait. Pourquoi je m'emmerde à le mettre sous balise, je vous le demande.


À l'aune de cet éventement d'intrigue présenté ci-dessus, peut-être peut-on mieux considérer la chose encore ; Erased est un Seinen qui ne remue que parce qu'il bouge incessamment. Ça ne bouscule pas à dessein mais par maladresse. Kei Sanbe aura trouvé la formule pour ne jamais nous laisser somnoler sans non plus avoir énormément à nous opposer pour justifier que nos paupières restassent ouvertes.


Les yeux, on ne les garde pas grands ouverts pour le dessin. Le début se veut tout juste passable pour un Seinen - bien que la catégorie se veuille éclectique en la matière - et, bien que s'améliorant considérablement, ne laissera pas une trace indélébile à la lecture ; preuve en est que je l'ai quasiment oublié moins d'une semaine après ma lecture. N'étant toutefois pas homme à privilégier la forme sur le fond, je m'en serais volontiers contenté aussi longtemps qu'une bonne idée et/ou un bon scénario me furent offerts en contrepartie.


Alors je me suis formalisé. Car bonne idée il y a eue et que son exploitation aura largement laissé à désirer.
D'ici à ce que le concept - qu'on suppose central - ne se dessine à nous concrètement, on erre, on se perd un peu jusqu'à ce que l'idée de rebrousser chemin ne nous traverse l'esprit. Premier chapitre lu, je ne savais pas de quoi traiterait ce manga ; je n'en avais pas la moindre idée. En principe, le bon sens commande de s'assurer que le lecteur sache vers quoi il s'engage ou, au moins, de le dérouter ce qu'il faut jusqu'à susciter sa curiosité et lui donner envie de poursuivre. Rien de tout ça n'aura cours ici ; ça m'aura rappelé le lancement de Beck. Le premier chapitre, c'est la devanture affriolante de l'œuvre ; si je ne sais pas ce qu'on vend ou ne suis pas séduit par ce que j'y vois... je n'achète pas.


Le ton suggéré en tout cas - car on ne pouvait s'en remettre qu'à ça - après quelques chapitres, laissait entendre une œuvre à la croisée des chemins entre 20th Century Boys et Bonne Nuit Punpun ; de l'enquête juvénile avec un petit fond social en embuscade. À ce stade il était seulement permis de présumer à défaut de savoir. Néanmoins, je mentirais si je prétendais ne pas avoir ressenti une forme latente d'attraction à l'égard d'Erased. Fut-ce sa narration ou son ambiance, je n'aurais trop su dire, quelque chose toutefois opérait sur moi à ses débuts, c'est à noter.


Ce n'était en tout cas pas à la mise en scène que je devais ce ressenti. L'auteur aura été maladroit ou plutôt malhabile alors qu'il mettait en exergue le pouvoir de son personnage principal en nous le présentant sur un cas pratique. Peut-être suis-je trop lent à la compréhension, inattentif sans doute, mais au risque de ne pas suffisamment me remettre en question, Sanbe a très mal explicité le fonctionnement du pouvoir temporel. On le comprendra à force d'empirisme sans en délimiter les notions plus complexes. Je n'aime pas qu'on me délivre du tout cuit dans la bouche en me mâchant et m'expliquant tout (en fait si, j'adore ça, uniquement quand c'est bien fait), mais quelques éclaircissements plus tôt adressés au lecteur n'auraient pas été de trop pour aider à la compréhension.


Un petit drame de bon aloi survient assez tôt pour enfin impulser l'intrigue globale dont nous n'avions eu jusque là que des soubassements rudimentaires et flous les cinq premiers chapitres. Il faut attendre d'ici à ce que la trame ne prenne une forme ne serait-ce qu'embryonnaire pour se lancer timidement. C'est lent à accoucher.


L'ambiance avait nettement laissé présager le ton alors qu'une enquête se mettait en branle. Une histoire de mémoire à retrouver, mais pas par le parcours classique de l'amnésie opportune. L'auteur chasse cette fois sur les terres de Quartier Lointain alors que le protagoniste, à nouveau écolier, revit sa vie d'alors. Inutile de préciser que le concept ne sera élaboré que ce qu'il faut pour les besoins de l'enquête et n'ira jamais au-delà malgré les infinies possibilités que recouvre cette formidable idée gâchée pour la deuxième fois. Erased aura donc - au regard de sa thématique - été la jonction improbable entre Quartier Lointain et Steins;Gate, la nostalgie, le soin de la narration et la qualité en moins. Le pire des deux réunis en un.


Erased, un manga court qui fait cependant judicieusement usage du moindre de ses chapitres. Je n'aurais finalement trouvé le temps long que d'ici à ce que ne s'amorce l'intrigue - et peut-être aussi le temps du coma d'un personnage - mais jamais l'auteur ne se sera abaissé à étirer inutilement son œuvre. Chaque réplique est à propos et, si le rendu est quelque peu mécanique en ce sens où tout dans le mise en scène n'a que vocation à servir l'intrigue plutôt que ses personnages, il n'y a aucune page à ajouter ou ôter, tout ayant été délivré dans la juste proportion requise.


Mais un rythme correctement géré par sa narration ne saurait se suffire à lui-même pour écrire quelconque histoire que ce soit. Il y a le reste aussi. Tout le reste. Ce que Sanbe n'aura que trop négligé à mon goût.
Katagiri comme personnage de la cruche niaiseuse à peine plus édulcorée que d'habitude stimulait chez moi des besoins compulsifs de strangulation. Il faudrait vraiment organiser un stagespour les auteurs mangas afin de leur apprendre à écrire leurs personnages. Ça devient usant d'entendre sans cesse les même personnages creux résonner d'une œuvre à une autre sous un avatar différent.
Au fond, les protagonistes ne sont pas si mal écrits, pas aussi insupportable que je pourrais le prétendre en tout cas. Mais ils irritent pas le peu qu'ils ont à mettre en scène ; eux aussi servent une intrigue pré-rédigée (pour une fois qu'un auteur sait où il va) qui ne fait pas grand cas de leur individualité.


Et cette trame, elle qui prend tous les éléments du récit en otage à son seul profit, elle n'en valait pas tellement la peine. Je n'ai pas accroché à l'histoire, à moins que ce ne soit l'inverse. À Quartier Lointain et Steins;Gate s'ajoute Ki-Itchi alors que l'on redresse les torts de la société dès le plus jeune âge avec le concours d'un camarade blondinet plus intelligent. Je ne l'aurais pas trouvé bien terrible pourtant ce kidnappeur qui rôde, faisant presque office d'abstraction à force d'être mentionné de si loin jusqu'à ce qu'on ne le découvre.


Et ce coupable, lui aussi ayant servi la trame avant de se rendre service, aurait pu être Yashiro ou qui que ce soit d'autre que cela n'aurait pas avancé à grand chose. L'enquête n'aura pas été diligentée d'une main de maître à se perdre si souvent dans les ratiocinages temporels qui allaient évidemment poser problème.... comme à chaque fois qu'ils se retrouvent impliqués dans une quelconque intrigue. Cette enquête se sera franchement laissé-aller d'ici à ce que ne se profile la révélation.


Et finalement, tout va bien. Elle est belle la vie. Surtout quand on peut remonter le temps. Tout s'arrange. Même le criminel est serein à l'idée d'être exécuté, acceptant docilement son sort comme le lui dicte la narration. Un petit «Je n'y serais pas parvenu si l'on n'avait pas cru en moi.» (verbatim) pour bien nous faire comprendre qu'il n'était question que de sirupeux bons sentiments en toile de fond. Le héros accomplit son rêve, chacun a droit à une case d'exposition, quelques pas dans la neige (parce que ça fait lyrique voyez-vous) eeeeeeet... clap de fin. Un clap qui se referme sur nos doigts alors que nous avons été les témoins dépités d'une énième conclusion formatée typique du manga-moyen, Shônen et Seinen confondus.


Peut-être Erased a tout pour nous saisir, mais il l'agence fort mal. Tout, il aura tout à sa disposition à l'exception notoire de la puissance d'un propos qui ne gémit ici que du bout des lèvres. L'œuvre aura été si linéaire qu'elle ne pouvait suggérer que la platitude qu'elle recouvre.

Josselin-B
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le 14 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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