« La Colonne » est un diptyque étonnant à bien des égards. Non content de nous mettre sous le nez des vérités sur les colonies françaises en Afrique pas vraiment agréable à entendre, il le fait avec un ton décomplexé pour le moins dérangeant, comme si l'on avait affaire à une parodie de Tintin au Congo. Et si le tome un prenait certaines distances avec ses deux abominables personnages principaux, le deuxième épisode est plus que jamais centré sur les folies mégalomanes de ces deux militaires, versions grotesques du Kurtz de « Au Cœur des Ténèbres ».


Scénario : On avait quitté la colonne massacrant villages sur villages dès qu’elle rencontrait la moindre résistance (quand les tueries n’étaient pas purement gratuites). Son périple continue donc maintenant dans une continuité qui perd tout contrôle. Et dans un sens de la démesure appréciable : les scènes d’actions comme celles de dialogues en rajoutent des tonnes, forcent le trait pour un résultat volontairement fouillis et chaotique, parfait reflet de l’esprit de nos deux colons. Ces derniers vont même devoir affronter une guerrière redoutable dont les supposés tours de magies sont redoutés par toute la colonne. Mais il en faut plus pour les abattre, ce seront plutôt des problèmes intérieurs qui les mettront à bas. Une campagne sans panache, qui ressemble plus à une sanglante mascarade qu’à une véritable opération militaire.


Dessin : Toujours aussi ensoleillé, le trait de Nicolas Dumontheuil fait la part belle à la rondeur, préférant servir l’ambiance graphique plutôt que le souci de réalisme. Ses personnages caricaturaux, que ce soit le petit gros et le grand maigre pour les colons, ou les soldats africains en rang d’oignons qui se ressemblent tous, renforcent la satire. Et permet de sceller le pacte du second degré avec le lecteur : si le sujet est grave, son traitement narratif et graphique agit en décalage complet.


Pour : Ainsi, les giclées de sangs et de tripes à la moindre balles tirées, les grosses gouttes de sueurs qui perlent du front des colons, les colères immodérés, les envolées verbales insensées, tout cela contribue au charme de l’œuvre, lui donne une forte personnalité qui ne plaira toutefois pas à tout le monde. L’absurde de la situation est en tout cas parfaitement explicité, et ce n’est pas la présence d’un « esprit » de la colonne loquace et cocasse sous les traits d’une statue africaine, visible uniquement aux yeux du lecteur, qui nous fera mentir.


Contre : Mais où est le réel dans tout cela ? Tiré de faits authentiques, la série ne se veut pourtant pas du tout récit historique. Un paradoxe d’où les auteurs ne se dépêtrent jamais, pas même dans un petit livret historique de fin d’album qui démêlerait le vrai du faux. La démarche en aurait gagné en pertinence.


Pour conclure : « La Colonne » n’en reste pas moins un récit de mémoire certes irrévérencieux, mais dont les intentions sont on ne peut plus louables : nous rappeler qu’aucune nation n’est immaculé de massacres en tout genre. Celui-ci a beau s’éloigner franchement de tout patriotisme dans la dernière partie, il n’en reste pas moins le reflet d’un esprit colonial dominateur qui ne sera jamais assez dénoncé.


Ma critique du tome 1 :
http://www.senscritique.com/bd/Un_esprit_blanc_La_Colonne_tome_1/critique/38816552

Marius_Jouanny
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleures BD de 2014 et Journal d'un bédéphile : année 2015

Créée

le 29 sept. 2015

Critique lue 200 fois

Marius Jouanny

Écrit par

Critique lue 200 fois

Du même critique

L'Impasse
Marius_Jouanny
9

Le dernier des Moricains

Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du...

le 4 août 2015

46 j'aime

12

All Things Must Pass
Marius_Jouanny
9

La sublime diarrhée de George Harrison

1970. Un an après Abbey Road, George Harrison sort ni plus ni moins qu’un triple album de presque deux heures. Un ouragan d’inventivité et de registres musicaux, en grande partie l’aboutissement...

le 22 avr. 2016

43 j'aime

6

Les Proies
Marius_Jouanny
6

Sofia's touch

Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez...

le 28 août 2017

37 j'aime

4