Critique initialement publiée sur le site Exitmusik


Pitché par Delcourt comme un mélange entre « l’onirisme du studio Ghibli et la fureur post-apocalyptique de Mad Max », créé par Daniel Warren Johnson, « l’un des plus remarquables talents de la jeune génération d’auteurs américains », sorti en VO sur le très select label Skybound de Robert Kirkman (le papa de The Walking Dead) chez Image Comics… Autant de raisons pour attendre cet Extremity au tournant tant la série semble avoir déjà tout pour elle. En effet, avec à son actif le très apprécié Space-Mullet! (Dark Horse / Akileos) ou le bien barré Murder Falcon (Image Comics / Delcourt, à paraître au printemps 2020), Daniel Warren Johnson fait désormais partie de ces auteurs qui sont parvenus en peu de publications à susciter de fortes attentes dans le petit monde du comics indé. DC Comics ne s’y est pas trompé et lui a récemment laissé le champ libre dans le cadre de son Black Label pour une courte histoire de l’une de ses têtes d’affiche, Wonder Woman (Dead Earth, encore en cours de publication en VO).
Cet Extremity justifie-t-il ces grosses attentes ? Oui, clairement oui. Il les surpasse même.


Commenter Extremity revient dans un premier temps à rendre hommage au talent de Daniel Warren Johnson. Le bonhomme crée, écrit et dessine seul la série (la colorisation est impeccablement assurée par son comparse Mike Spicer). Un boulot considérable pour un rythme de parution mensuel de chaque numéro, rappelons-le. Outre cet aspect formel (d’ailleurs loin d’être gage de qualité car on peut bosser seul, vite et mal) c’est surtout sur le fond qu’Extremity est une pépite : pour sa créativité folle, sa mise en scène impeccable et l’intelligence de son propos.


Guerre clanique, androïde surpuissant, îles volantes, bras mécaniques, bêtes préhistoriques, nefs de combat, monstres venus des profondeurs, canons à plasma, château-fort, land speeder, armures, bon gros mecha… Warren Johnson installe son récit dans un tourbillon de différents imaginaires : SF, fantasy, steampunk, post-apo’… En ressort quelque chose d’unique et d’immédiatement engageant qui laisse une place énorme à la surprise, à une vraie forme de sense of wonder, tout en évitant l’écueil du too much. Si les hommages sont là, ils ne prennent jamais le pas sur l’âme de cet univers et donnent au contraire une forte sensation de connivence avec l’auteur. Celui-ci prend le parti de ne pas expliquer le monde qu’il crée mais de plutôt de le laisser se dévoiler au fil du récit. La recette prend instantanément, le curseur étant habilement placé entre zones d’ombre et révélations pour ne pas gâcher l’expérience de lecture.


Celle-ci passe par une maîtrise du séquentiel qui témoigne déjà d’une maturité assez exceptionnelle pour un auteur encore en début de carrière. Warren Johnson semble savoir tout faire de son trait si particulier. Il alterne les mises en page, les décors ultra détaillés et les fonds monochromes, insère des splash pages magnifiques (parfois quatre d’affilée !) et des plans plus dépouillés, mélange habilement ses influences pour la création des personnages et décors… À l’image de ce qui peut se faire dans le manga, il réalise un boulot assez fou sur les onomatopées qui accompagnent l’action et prennent une vraie dimension narrative. Il est tout aussi bon pour mettre en scène des batailles épiques et sanglantes (toujours parfaitement lisibles) que des moments plus introspectifs et intimistes.


Car sous ses airs de récit de guerre bourré d’action, ce qu’il est également et fait admirablement, Extremity est une histoire extrêmement humaine qui traite de thématiques aussi casse-gueules que le mort, le deuil, la vengeance et le pardon. L’écriture est fine, suffisamment pour ne pas prendre parti dans l’horreur d’une guerre entre clans qui semblent voués à se rendre coup pour coup éternellement. L’axe suivi par l’auteur n’est pas une bête opposition entre le bien et le mal mais plutôt entre conservatisme et progressisme, en l’espèce à quel point le passé peut-il être dépassé pour l’intérêt commun et partagé. Une problématique intemporelle que Warren Johnson traite sans mièvrerie jusque dans une fin excellente qui laisse ce qu’il faut de place à l’interprétation.


Beau et violent, épique et touchant, bourrin et intelligent, Extremity est une réussite totale. Une bande-dessinée assez unique d’un jeune auteur qui fait preuve d’une impressionnante maîtrise scénaristique et graphique. On a vraiment hâte d’en lire plus.


Critique initialement publiée sur le site Exitmusik

Marlon_Ramone
9
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le 29 avr. 2020

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Marlon_Ramone

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