Je ne savais pas trop à quoi m'attendre avec cette BD. J'imaginais un énième récit sans inventivité sur la Shoah et l'Occupation. De ces sujets, il est bien question, mais l'inventivité, elle, est également bien présente !


L'histoire suit un vieillard qui veut à tout prix trouver un vrai magicien, afin de l'aider à faire sortir une personne du chapeau haut-de-forme dans lequel il la prétend coincée. Un point de départ assez intrigant, d'autant plus renforcé par le fait qu'on ne sait pas trop où l'auteur veut nous emmener. On s'en doute assez vite, étant donné que la quatrième de couverture nous a révélé sans ambages le thème principal du récit, mais pendant une bonne moitié de l'intrigue, le doute subsiste. On est plongé dans un univers à cheval entre les sombres réalités de notre histoire et les échappées oniriques d'un univers fantastique, fantasmé, enchanteur mais aussi dangereux.
Disons-le tout de suite : les séquences dans cet univers merveilleux sont les moins développées des trois narrations simultanées, et c'est dommage. Il y avait vraiment quelque chose à faire, les auteurs auraient pu développer tout un univers intéressant, mais il aurait fallu pour cela plus qu'un one-shot.


Cela n'empêche pas le récit de bien fonctionner : la bonne idée de Bartosz Sztybor est d'articuler trois univers/époques bien distincts. On a donc l'époque actuelle avec le personnage principal, Tolek Marber, âgé, qui essaye d'exorciser ses vieux démons. Ensuite, la période de l'Occupation, vue en flashbacks et centré sur le mystérieux Monsieur Pinon, un homme quelconque, assez lâche face aux Allemands (j'ai toujours du mal à parler de lâcheté dans un tel contexte, disons que, sans collaborer avec eux, il essaye de ne pas les contrarier afin de ne pas risquer sa vie), et pourtant héroïcisé par le regard de Tolek enfant. Enfin, le monde onirique du chapeau magique où Tolek veut absolument sauver un lapin des griffes de monstres inquiétants.
Cette articulation de trois narrations distinctes fonctionne merveilleusement grâce au talent graphique de Grazia La Padula, que je découvre sur cet album. Son trait est vraiment beau, un peu naïf mais pas trop, introduisant un ton joliment poétique, qui introduit un décalage salvateur par rapport à la (triste) réalité, tout en y étant ancré de plain-pied. Surtout, elle réussit à bien distinguer chacune des trois narrations en variant sur la palette de couleurs (un ton très terne pour l'Occupation et plus coloré pour le temps présent) et sur son style graphique (les contours des objets et personnages disparaissent dès qu'on entre dans l'univers fantastique, uniquement composé d'aplats de couleurs sans contours).


Concernant le scénario, il est très réussi, même si la métaphore est assez évidente et pas forcément très subtile (mais toujours aussi efficace). On comprend vite où l'auteur veut en venir, même si on reste dans un flou plutôt réussi pendant une bonne partie de l'album. Cela diminue toutefois l'impact des « révélations » finales (qui ne sont heureusement pas introduites sous forme de twists censés surprendre le spectateur à tout prix), puisqu'on avait globalement compris quel était le but de ce scénario. Cela permet au moins de ne pas être trop déçu de voir l'univers fantastique aussi peu développé puisqu'on a vite compris qu'il était un outil narratif au service de l'histoire et non l'élément central du récit.


Enfin, sur la dimension historique du récit, c'est plutôt pas mal, même si, là encore, ça aurait pu être plus développé. Les personnages ne sont pas assez creusés pour faire ressortir toutes les difficultés et l'ambiguïté de cette période sombre qu'est l'Occupation. Néanmoins, quelques éléments sont très intéressants, particulièrement, bien sûr, M. Pinon, qui donne son nom au titre de la BD. C'est un homme comme les autres, qui n'aime pas les Allemands mais qui, en même temps, a trop peur d'eux pour aider les Juifs. C'est bien fait, car il est suffisamment brossé par l'auteur pour qu'on se demande si, au moment décisif, il prendre le parti d'aider les Juifs ou au contraire de les dénoncer à contre-coeur. Un suspense habilement entretenu qui renforce cette fois l'impact de la scène où justement, il doit faire son choix.


Bref, Le Chapeau mystérieux de Monsieur Pinon est une bande dessinée très agréable à lire, d'abord grâce au talent graphique de Grazia La Padula, mais celui-ci est admirablement mis au service du scénario bien ficelé de Bartosz Sztybor. Quelques légères réserves, néanmoins, sur le traitement du récit, un peu rapide à cause du nombre limité de pages. Il n'entrave pas tout-à-fait l'émotion, mais je pense qu'avec une vingtaine ou une trentaine de pages en plus, on aurait pu atteindre un équilibre mieux dosé.
Enfin, ça reste une lecture intéressante et touchante, que je recommande bien.

Tonto
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Un an dans la vie d'un bédéphile : 2020 et Les meilleures BD de 2020

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le 22 oct. 2020

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Tonto

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