Pinocchio
8.1
Pinocchio

Roman graphique de Vincent Paronnaud (Winshluss) (2008)

Dans cette version de Pinocchio, l'enfant n'est plus un pantin de bois, mais un robot destructeur que son concepteur Gepetto veut vendre à l'armée pour en faire une arme de destruction massive. Mais un malencontreux concours de circonstances pousse l'androïde sur la voie de l'errance et de la misère. Guère aidé par le dépressif Jiminy Cafard, qui s'est réfugié dans son cerveau d'acier, le robot-enfant va tour à tour être exploité dans une usine de jouets, faire la rencontre de sept nains pervers et violeurs, débarquer sur une île où les enfants sont tyrannisés par un méchant dictateur, être avalé par une baleine radioactive...


Honnêtement, je ne comprends vraiment pas comment cette bande dessinée peut susciter une telle unanimité... Qu'est-ce qui peut plaire à ce point à un aussi grand nombre de gens ? Mystère !


Certes, si on est privé de l'usage de ses yeux, ce livre est un bel objet, agréable au toucher à défaut de l'être à la vue. C'est bien le seul avantage que je lui accorderai.
Car dès qu'on l'ouvre, c'est la dégringolade. On s'y trouve accueilli par un dessin d'une hideur qui donne envie de refermer tout de suite le volume. Puis on continue la lecture, et on regrette de n'avoir pas cédé à notre intuition initiale... En fait, ma lecture peut se résumer en deux étapes :
1re moitié : "Bon, allez, on continue, peut-être que le chef-d'œuvre va se révéler plus tard, je n'ai pas encore tout lu !"
2e moitié : "Bon, j'ai tenu une moitié, je pourrais bien tenir la deuxième... Mais quand est-ce que ça se termine, cette connerie ?"
J'ai attendu le chef-d'œuvre, rien n'est venu. Bon, il est vrai que j'ai su assez rapidement que cette bande dessinée allait me déplaire. La laideur du dessin et la complaisance à outrance dans le gore, le vulgaire, le crado, je sais que ça n'a jamais été ma came. Pourtant, je peux apprécier l'humour noir ; on peut faire de l'humour noir tout en restant élégant, c'est un peu pour ça que j'ai voulu tenter malgré mes craintes. Mais non, pas ce type d'humour noir.
L'humour est déjà un art difficile, mais l'humour noir atteint un degré de complexité bien plus élevé. Réussir à entraîner un rire sain tout en s'aventurant sur le terrain de la provocation et de la caricature, c'est possible, mais très dur. Winshluss, lui, n'essaye même pas de jouer, il fonce la tête la première dans le gouffre de la facilité à chaque fois qu'il en a l'occasion. Son humour repose presque exclusivement sur une exploration à caractère pas du tout professionnel des différents fluides corporels et de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la bouillie, mais qui ne se mange pas. Peut-être que ça fait rire certaines personnes, pas moi.
Bon, sur le lot, bien sûr, certains gags m'ont un peu amusé, mais ils n'étaient pas légion...


Puisque le dessin est laid, puisque l'humour est peu drôle, alors concentrons-nous sur le propos, puisqu'il paraît qu'il est génial. Mais à ce niveau, c'est encore plus catastrophique... J'espère que Winshluss ne se voulait pas subversif avec cette version "actualisée" du célèbre conte de Collodi, car il s'y vautre allègrement dans tous les poncifs les plus bêtes et les plus conventionnels du politiquement correct, avec une telle absence de hauteur de vue que c'en est effrayant.
Dans une bande dessinée quasiment muette, on ne s'attend pas forcément à un discours très élaboré (en fait, ce sont souvent ces œuvres-là les plus subtiles, justement, mais pas là), mais tout de même, une telle absence de nuance est effarante. Si l'on devait résumer les messages de Winshluss, cela se résumerait sans doute à quelque chose du genre : "La pollution, c'est mal", "Le capitalisme, c'est mal", "La guerre et la violence, c'est mal", "La religion, c'est mal", "La dictature, c'est mal" et finalement "Être humain, c'est trop nul". Super, merci l'ami, quel courage, quelle vision, c'est extraordinaire !
En fait, le problème de Winshluss et de tous ces extrémistes politiques qui entendent mettre à bas le système, c'est que la plupart du temps, ils savent détruire, mais ne savent rien bâtir derrière. Détruire est la chose la plus facile au monde. Savoir dire ce qui cloche dans la société n'est pas sorcier, c'est à la portée de n'importe qui. Mais reconstruire, voilà la vraie difficulté.
Or, qui dit "difficulté" ne dit pas "Winshluss". Effrayé par les dures épreuves de la nuance, de l'analyse et des propositions de solutions, Winshluss se réfugie toujours plus dans l'abject qui est sa marque de fabrique et qui se révèle bien pratique pour éviter de réfléchir. Ainsi donc, peu importe qu'il multiplie les récits parallèles avec plus ou moins de brio, tout ce que nous aura dit Pinocchio, à l'issue de cette construction narrative faussement complexe, c'est que partout où l'Homme est passé, le monde est noir, le monde est sale, le monde ne mérite plus qu'on y vive.


Face à un discours rempli d'une telle misanthropie, on a le choix : ou bien on applaudit l'absence criante d'audace qui mène à réciter le sempiternel discours anti-système (anti-tout, en fait) que l'on nous ressasse depuis plus de deux siècles, ou bien on se décide à braver la loi sur les feux de plein air pour aller allumer un grand brasier au milieu de son jardin et l'alimenter avec tous les tomes de cet atroce Pinocchio que la Providence aura bien voulu faire échouer entre nos mains.
On est bien d'accord que ça ne servira strictement à rien, mais au moins, on aura trouvé une utilité un peu rigolote à ce machin.

Tonto
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le 4 mars 2021

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