Certes, Miracleman est habitué aux ellipses et aux disparitions à répétition. Mais, alors que ce comics des années 80 reparaît enfin, c’est une absence qui nous saute aux yeux: un nom qui devrait apparaître sur la couverture mais reste définitivement absent. Celui d’Alan Moore. En France, personne ou presque ne connaît Miracleman, et le nom de l’auteur de Watchmen, V pour Vendetta ou Swamp Thing aurait peut-être suffi à sortir cet obscur héros de la confidentialité. Il le mérite.

Longtemps introuvable, Miracleman faisait figure de trésor perdu, de premier chef-d’œuvre maudit, jamais réédité à cause d’une interminable guérilla judiciaire. Jusqu’à ce que le plus puissant éditeur du marché, Marvel, récupère les droits en 2009 et débloque la situation. Dégoûté, Alan Moore, lui, ne veut plus entendre parler de cette œuvre de jeunesse et ne figure donc plus au générique.

Mais Alan Moore n’a pas créé le personnage. Le Miracleman des origines date de 1953. A l’époque, il s’appelle Marvelman et sent bon la copie carbone de Superman et Captain Marvel. Tout est fait pour plaire aux mioches. Un héros indestructible, son alter ego reporter au cœur grand comme l’Amérique, et surtout une belle petite famille: Young Marvelman et Kid Marvelman (il faudra qu’on nous explique pourquoi les auteurs n’ont pas opté pour le plus simple Marvelkid ?).

Comme Shazam, il leur suffit de prononcer un mot magique pour devenir des demi dieux: «Kimota». Le verlan d’«Atomik». Le nucléaire, forcément… Pour remettre les choses en perspective, la réédition actuelle s’ouvre sur un prologue du Miracleman de 1956 bottant le postérieur d’un exotique «Kommando de la gestapo scientifique» venu du futur (enfin, de 1981…).

La petite affaire tourne gentiment avant de s’éteindre dix ans plus tard. Sans faire de vague. Mais la mort est une chose toute relative dans les comics et, en 1982, un groupe de jeunes auteurs british un peu allumés ressuscite le personnage. Au scénario: Alan Moore donc, qui sera relayé par Neil Gaiman. Au dessin: Garry Leach, Alan Davis et Steve Dillon. Quelques années plus tard, ils révolutionneront le comics en allant bosser aux Etats-Unis, du côté de Vertigo.

En quelques pages, le ton de la nouvelle série est donné. Enterré le boy-scout, le Miracleman de Moore n’est plus là pour rigoler. Grièvement blessés dans une explosion, le héros et ses sidekicks ont été laissés pour mort. Michael Moran (l’alter ego de Miracleman) a, lui, survécu mais reste amputé des souvenirs de sa légende passée. Demeurent des rêves lancinants, inquiétants, et un mot magique qu’il a sur le bout de la langue.

Évidemment, il murmurera le sésame et retrouvera une force colossale. Mais ce héros-là est une bombe à retardement. Un être profondément déstabilisé par un passé en lambeaux et par cette puissance qu’il doit réapprendre à dompter. Pervers, Alan Moore dresse sur son chemin un Young Miracleman corrompu par son pouvoir et dévoré par l’ambition. Années Thatcher oblige, le jeune homme incarne aussi une certaine idée du capitalisme sanguinaire.

Les planches sont parfois dénuées de dialogues, l’action étant cadrée par des récitatifs étouffants qui disent la fragilité du personnage. Miracleman se coupe vite du monde et devient un être «suspendu entre le sol et les étoiles, entre les anges et les singes». Dérivant seul au milieu des nuages, il clame son inhumanité («Je n’ai pas de semblable») pendant que grandit en lui la tentation de ne pas rejoindre les humains, de ne pas venir au secours de «cette planète sombre et jalouse».

Là où Spider-Man s’amuse en découvrant ses pouvoirs, Miracleman vit cette transformation comme une aliénation. Il subit la naissance d’un corps étranger qui semble lui soustraire sa vie de simple quadra, sa femme et son enfant à naître. Quand Marvel rapproche ses héros du lecteur en les confrontant à des problèmes de loyers, Alan Moore met de la distance, transforme son personnage en monstre au regard vide et froid. Au point que Michael Moran parle de son alter ego à la troisième personne : «Il réfléchit différemment de moi, ses pensées sont comme un poème.»

Watchmen est déjà en germe. Le héros est d’autant plus mis à mal que l’auteur joue régulièrement avec le quatrième mur en évoquant Superman, en citant le héros de BD britannique Dan Dare ou en laissant ses personnages se moquer directement du Miracleman des années 50.

Pour faciliter la lecture de ce classique aux dessins old school, Marvel a eu l’audace de recoloriser les planches. Un parti pris appréciable, tant il est vrai que c’est souvent la couleur qui date les comics, les procédés industriels limitant alors les artistes à une palette relativement réduite et criarde. Des croquis d’époque et des couvertures réalisées par les meilleurs dessinateurs actuels viennent parachever le premier tome de cette réédition qui doit couvrir l’ensemble de la série, Gaiman compris.
Marius
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le 15 juin 2014

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