V pour Vendetta est une ode à l'anarchie, la vraie; c'est-à-dire un mouvement duquel l'ordre émerge par le citoyen et non par des dirigeants coupés de la réalité. Cette Anarchie là est bien sûr utopique, et l'on reste amer face à la démocracie qu'il nous reste, faute de mieux.
Le dessin de ce roman graphique percute: Lloyd joue avec les masses de noir et ponctue le tout d'un bain de couleurs se vautrant l'une dans l'autre de façon... anarchiste; les compositions sont dignes des plus 'entertaining' des comics, mais la page en soi neutralise cette stylisation. Il en résulte des plans d'une puissance incroyable mais brodé de façon conventionnel, comme si l'on voulait faire croire que tout va bien , qu'il s'agira d'une lecture paisible.
Le propos tenu par son personnage central en est de même: sous des dehors paisibles, V est un être tourmenté au plus haut point dont l'histoire ne sera jamais totalement révélée. Tous les personnages ont cette ambiguité qui font le propre de l'homme. On ne tombe jamais dans le simple manichéïsme. Leurs confrontations, leurs croisements provoquent une certaine jouissance tant la narration et les protagonistes sont maîtrisés.
Le conflit est à tous les niveaux et surtout inédit: Moore joue de la fonction et de l'état psychologique de ce qu'est vraiment un super héros et de ce que ses actions doivent être. Ainsi, l'action ne se déroule pas juste dans les rues. Oui, elle y a lieu, bien sûr. Mais c'est surtout à un niveau plus symbolique qu'un vrai super héros doit agir. Après tout, à la base, Superman était une sorte de Jesus Christ (de nombreuses analogies se cachent dans les premiers comics); quoi de plus normal de vouloir raconter les aventures d'une figure emblématique... et immortelle.
La bande dessinée n'est pas simple à lire. Il faut parfois s'y reprendre à deux fois pour comprendre tout le sens d'un bref passage, et tout ce que ça implique; de plus, les personnages sont tellement nombreux (et le dessin parfois tellement sombre) qu'il est difficile de s'y retrouver. Chez Moore, le dit et le non dit ont autant d'importance, je l'avais déjà constaté au travers des Watchmen; Ainsi, l'auteur jongle entre discours dénonciateurs, séquences muettes lourdes de sens, et surtout de tout ce qui est ellipsé entre les cases. Car le découpage typique d'une bande dessinée, cet espace entre les cases, Moore ne l'utilise pas comme un simple cut entre deux actions, non; ça raconte des évènements majeurs qui sont à peine murmurés dans le 'représenté' de la bande dessinée, laissant ainsi soin au lecteur de vraiment recréer toute l'histoire, d'apporter ses propres pièces de puzzle. V pour Vendetta est tel un rêve dont on n'arrive jamais à saisir l'essence complète. Il y demeure un certain mysticisme imprenable.
Bref, il s'agit d'un grand livre de la bande dessinée américaine, donnant un nouveau souffle au super héros (un vrai nouveau souffle; pas la simple noirceur de Batman qu'on remet en avant), dont le dessin est parfois difficile voire inégal (certains visages deviennent méconnaissable, heureusement, les noms ne changent pas), mais toujours subtil et appréciable; l'histoire n'est pas toujours aisée à comprendre, surtout face à la plume shakespearienne de Moore, et les conflits sont rarement évidents; à découvrir ou à relire, car il s'agit véritablement d'un chef d'oeuvre puisant sa force principalement dans ce qui définit ce formidable médium qu'est la bande dessinée (ha ça c'est pas Boule et Bill (même si j'aime beaucoup Boule et Bill, attention)).