Retour à Fort Navajo

J’ai découvert l’album le jour de la sortie, l’attente était trop fébrile, le dessin trop différent, je le reposais, déçu. Je suis revenu et lui ai donné sa chance. Pour ce premier tome d’un diptyque, Joann Sfar envoie le jeune lieutenant au Fort Navajo, sa première affectation. Foin des sombres machinations politiques, retour à la police des frontières. Trois gamins ont assassiné deux indiennes, la femme et la fille d’Amertume, un influent guerrier apache. Blueberry tente d’interrompre le cycle infernal des vengeances. Digne du plus noir des polars, l’histoire est sombre, viol, inceste, emprise sectaire, torture. Sfar surprend par la qualité d’écriture des seconds rôles – le colonel trompé, le gourou pervers, le saltimbanque et sa touche de fantastique et de fortes femmes, dignes cousines de l’inoubliable Chihuahua Pearl : Ruth, la très indépendante épouse du chef de corps, Bimhal, une jeune fille lancée dans une sanglante équipée sauvage. Les deux femmes volent la vedette au vieux et plaisant bougon Jim MacClure.

Proposer Blueberry à Christophe Blain constituait un pari audacieux. Oubliez le somptueux trait réaliste du génial Giraud. Nous changeons d’univers. Blain propose un dessin semi-réaliste, aussi éloigné de son Gus que du Blueberry originel. Pour autant, il connaît le canon du maître, les décors, les lumières, les couleurs ou les attitudes de ses personnages en sont tirés. Seuls diffèrent les traitements des détails, des ombres ou des visages. Pour l’anecdote, Blain s’acharne à donner à ses personnage les faciès de grandes figures du cinéma. L’exercice serait un peu vain, s’il ne nous offrait un magnifique hommage à la Claudia Cardinale du Guépard ou d’Il était une fois dans l’Ouest. Ce premier album en appelle d’autres. À suivre.