Btooom!
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Btooom!

Manga de Junya Inoue (2009)

Des armures aux relents mécha, quelques explosions d’usage – car elles augurent le thème qui se joue – du bruit et de la lumière, tout ça, d’emblée, rien que pour consacrer Btooom!.

C’est la gorge nouée qu’on y met les pieds, car on ne sait pas dans quoi on s’embarque. On ne sait qu’une chose, c’est que l’embarcation prend l’eau alors que, très vite, ça patauge. Vous connaissez la manœuvre vous qui êtes échaudé à ce genre de Seinen. Un jeune adulte un peu lâche se veut la personnification même du looser sans avenir avant d’être embarqué dans un contexte houleux où il se dévoile plein de ressource.

On me dit « Gantz » ici, d’autres scandent « Kaiji » par là, évidemment, quelques voix ne manquent pas de mentionner Alice in Borderland et il s’en trouve même pour évoquer les basses œuvres de monsieur Tsutsui. Dans les faits, la bagatelle nous tire effectivement vers les débuts d’abysses creusés du temps d’Alice in Borderland. J’entends par là que l’idée est là sans que l’exécution ne soit en mesure de lui faire honneur. Junya Inoue (aucun rapport avec Takehiho) a cependant la déférence de nous épargner la longue et fastidieuse introduction du personnage principal et de son premier cercle. Je lui en suis reconnaissant comme peut l’être un bourreau qui accorderait à son supplicié le choix de sa mort. À cette œuvre, je promets de lui rompre le cou avec amour.


Btooom !, il s’en trouvera pour s’en satisfaire, la chose est entendue et pourrait être dite de tout ce que j’ai pu un jour critiquer. Ne dit-on pas que tous les égouts sont dans la nature ? Eh bien moi je le dis, et je l’écris même encore plus volontiers après les réjouissances prodiguées par cette dispensable lecture.

Les explosions, vous en aurez tout un florilège. Vous savez, ces explosions qui, en détonant à quelques mètres d’un protagoniste, n’occasionnent que bien peu de dégâts. Des explosions ludiques en somme, celles dont le souffle ou la chaleur ont été purgées par instants, quand l’intrigue l’aura jugé bon. Je ne compte pas le nombre de fois où Ryôta et ses alliés, le nez dans le C-4, s’en sont sortis avec un ongle incarné. C’est drôle au début. Et à force, ça le devient moins.


Et le tout, servi par des dessins quelconques. Je n’ai pas dit « mauvais », j’ai dit « quelconques ». Ils n’évoquent rien, sont remarquablement impersonnels et interchangeables. En viendrais-je à montrer une page au hasard à un connaisseur qu’il peinerait assurément à déterminer d’où proviennent les dessins tant ils pourraient venir de partout et nulle part à la fois. C’est un style standard qui peine à se distinguer et plus encore à nous lier à l’œuvre qui, déjà difficilement présentable pour ce qui est du fond, ne donne pas davantage envie d’être lue ainsi assortie.

Les dessins, du reste, ressemblent parfois à ceux d’Ajin. En moins élaborés.


Btooom ? Ce manga dont on m’a loué l’aspect stratégique ? C’est Battle Royale. C’est un Battle Royale dont on aurait purgé le moindre intérêt que puissent susciter les personnages et où, tous, ne seraient armés que d’explosifs. Il s’agit donc du principe de Battle Royale ; les grandes lignes en tout cas, auxquelles rien d’autre n’aurait été greffé. Bien peu de choses en tout cas.

Vous serez gratifié de ce que vous pourrez attendre de ce scénario, de cela et de rien d’autre. Pour peu que vous soyez friands de menues tactiques à base de pièges et d’embuscades sans rechercher le moindre agrément afin de mieux vous sustenter, de Btooom!, vous pourrez faire un maigre repas. Les autres se pourlècheront d’une copieuse traversée du désert, quoi qu’avec quelques oasis disséminées ici et là.


Des protagonistes creux aux traits lisses, des psychopathes conformes aux normes certifiées «MUHAHAHAHAHAHA», des militaires avec des muscles jusque dans les narines, et de la loli à gros seins hyper-sexualisée, vous y aurez droit. Bien sûr que vous allez en manger mes bons sires, il n’y a pas de dispense valable pour se prémunir du mauvais goût. Ne vous imaginez pas que c’est un séjour de plaisance qui vous attend. Non, rien que des variables explosives mal articulées entre elles avec, au milieu des nœuds emmêlés, de la chair vertébrée vivante mais sans âme. Vous aurez beau plisser des yeux jusqu’à devenir le sosie officiel de Clint Eastwood, vous ne parviendrez pas à déceler une once d’originalité. Extrapolez du mieux que vous pourrez, cherchez à farfouiller jusqu’entre les lignes, je vous garantis que vous n’y trouverez rien si ce n’est des motifs à vous lamenter.


J’apprécie néanmoins que des adultes aient un rôle à jouer dans l’histoire. Un regard rétrospectif sur tout ce que j’ai écoulé de Seinens m’amène à dire que les plus âgés – j’entends par là les plus de quarante ans – n’ont que trop rarement droit à une quelconque forme d’exposition. Taira est une composante plaisante dans son principe. Le personnage en lui-même n’a rien de bien sensationnel ou de nouveau à apporter, cependant, il a le mérite d’être là. Mais il est bedonnant le pauvre, et on devine que gras comme il est, il fera un agneau sacrificiel tout désigné quand le moment sera choisi.


Du reste, tout Battle Royale se redessine avec Btooom. Le groupe des trois protagonistes chargés de survivre sur une île avec leurs bonnes intentions en bandoulière et l’espoir vain de pouvoir finir la partie sans tuer son monde, une Mitsuko au rabais, mettre le groupe en danger pour la fièvre d’une demoiselle, la réforme sociale derrière le jeu, les conversations par clavier pour contourner le système d’écoutes, un trav, un joueur qui se retrouve mobilisé pour participer à deux sessions, la redite du phare où une bande de joueurs pacifistes s’entretuent dans un élan de paranoïa après l’arrivée du protagoniste chez eux, Ryôta prenant appui sur un bâton avec un bandage au crâne, les visages barrés des personnages éliminés en début de chaque tome. Il y a certes de la valeur ajoutée alors que le volet survie au milieu de la jungle et les varans se greffent ici à l’intrigue, mais à la valeur ajoutée se confronte la valeur délestée de ce qui créait autrefois la tension et l’horreur avec Battle Royale. Il n’empêche que toutes les idées auxquelles j’avais pu penser dans l’éventualité d’une suite de Battle Royale ont été ajoutées ici, notamment l’incursion des organisateurs pour réparer une panne (qui n’est pas sans rappeler Jurassic Park).


Plagiat pour plagiat, il faut admettre que Predators (notez le « s » à la fin) a lui aussi apparemment beaucoup emprunté à Btooom. L’arrivée en parachute, la jungle, le vétéran présent depuis des lunes, là encore, les similarités, pour un peu, s’apparenteraient presque à une copie conforme. L’art se nourrit de l’art dit-on, et Btooom comme Predators se sont servies de bonnes louchées pour se remplir.


Si les premiers personnages offraient à Btooom une vitrine assez peu reluisante, les psychés s’affinent cependant au gré des volumes et des personnalités plus matures s’affirment. Encore une fois, la présence d’adultes contribue à mieux donner du corps à l’œuvre bien que tous les personnages ne soient pas des exemples en matière d’écriture. Il s’en trouve néanmoins quelques uns à même de se distinguer positivement.

Les différentes catégories d’explosifs permettent de varier les stratégies d’attaque et d’embuscades pour le plus grand plaisir du lecteur. Mais certains dispositifs sont clairement plus avantageux que d’autres. Le bim à tête chercheuse est clairement la voie royale vers la victoire pour peu qu’on sache se faire discret et celui dispensant un gaz à même de faire fondre la chair est plus puissant encore que ne l’était le stand de Fugo.


De même, l’utilisation des radars est ingénieuse bien que trop exagérée. Brouiller un radar avec une autre écholocation suppose d’actionner le mécanisme au même moment que l’adversaire, c’est-à-dire de l’avoir en ligne de mire et de l’imiter à la seconde près. Il faut être large au niveau de la tolérance scripturale pour avaler ça.

La scénographie, après avoir pris son temps avant de soutenir un rythme acceptable trouve le moyen d’être haletante lors de scènes d’actions et de stratégies relativement bien amenées. Les scènes se jouant à l’occasion de la rencontre d’Oda sur la plage ou bien de la chasse nocturne de Kira étaient vraiment rédigées avec soin. Outre ces scènes tumultueuses, je me suis qui plus est reconnu dans certains FB bien douloureux pour le moral ainsi que dans la déférence dont Ryôta fait preuve et considéré par les «alpha» comme de la faiblesse. Connard d’Oda…


J’ai eu beau m’en plaindre à ses débuts – car c’est la première impression qui compte le plusle récit, bien que beaucoup trop axé sur les rails de Battle Royale, se lit presque d’une traite sans jamais y aller à reculons. On en déduit qu’il y a matière à s’en contenter. J’étais parti initialement sur un 2/10 pour progressivement monter en gamme à mesure que se déroulaient les pages.


Les passages où l’on apprend qu’Himiko et Sakamoto se connaissaient de leur jeu en ligne sont inintéressants au possible et n’apportent rien à l’œuvre si ce n’est des pages de remplissage. Tout comme l’origine de Btooom! en tant que survival. Je suppose qu’il fallait bien légitimer le jeu de massacre, mais tout de même…. la thèse de l’entreprise qui cherche à faire du profit sans éthique associé au projet de «réforme sociale» applaudie par des encravatés au sourire carnassier… c’est d’un goût… d’une originalité… Vraiment, les adjectifs me manquent alors qu’aucun ne pourrait suffisamment agonir le script pour ce qui concerne ce volet. Junya Inoue ne pouvait-il pas opter pour la solution Liar Game et assumer le je m’en-foutisme afin de ne pas nous éloigner de l’intrigue ? Car si c’est pour écrire de pareilles conneries, autant économiser l’encre et la destiner à un usage plus constructif. D’autant que le poids de cette trame va en s’accroissant au fil du récit et ne contribue certainement pas à le rendre plus prenant.


Les différentes factions en présence, après que les alliances aient pris le temps de se nouer, de se rompre et de se recréer, sont toutes intéressantes et s’inscrivent bellement dans microcosme de Btooom. Il n’y a pas de groupe qui soit plus menaçant qu’un autre ; tous ont leurs avantages et leurs défauts. La focale se détourne aisément de Ryôta pour se braquer sur eux afin de rapporter leurs aventures. La recette Battle Royale, encore une fois, mais une recette qui qui prend dans le cas présent.


Pour un bon point imputable à Btooom!, il s’en trouve systématiquement un autre pour contrebalancer l’enthousiaste susceptible de nous agiter les tripes. Que ce soient les manigances verbeuses et stériles des organisateurs ou les enjeux allant par-delà le jeu, que ce soit une petite fille capable de voir les esprits, que ce soit une actrice porno capable de deviner les mensonges avec un taux de réussite de 100 %, que ce soit une loli-punk pilotant un drone de combat depuis le Pentagone avec l’assentiment de l’armée américaine, que ce soient les personnages qui ne présentent jamais une égratignure après avoir subi une explosion à deux mètres d’eux, ou encore le personnage principal qui, suite à un traumatisme, se croit littéralement dans un de ses jeux-vidéos, on trouve toujours de quoi bouder son plaisir entre deux raisons de se réjouir.


Et ça se termine dans un déluge long comme un jour sans pain où se mêlent les combats d’arrière-garde chez la fondation Schwartz, une tentative de sauvetage mielleux d’un cas désespéré, le hacker de l’extrême avec option lunettes de soleil (pour mieux souligner l’extrémité de son extrême) qui en plus partage le nom d’un acteur de la série Friends, des robots tueurs commandés à distance par des nerds, l’armée russe qui entre dans la danse, des miracles à la chaîne, une confrontation finale qui n’arrive pas même à la cheville des affrontements des débuts et une révélation de fin qui est à pleurer de rire tant elle sort de nulle part pour en plus ne rien accomplir. La fin est navrante de candeur, ça a le goût du sucre, mais dans un réservoir d’essence. Un «Je suis ton père» à un chapitre de la fin, il faut oser quand même ; oser le parti de la médiocrité.


Ça a été vilainement torché cette affaire. Les gentils tuent tous les méchants avec une facilité déconcertante en un chapitre de temps, et puis nous apprenons que la révolution anti-mondialiste est en route sur les réseaux sociaux ! On entendait presque chanter l’internationale en guise de générique de fin pour nous retrouver soudain pris à revers. Au milieu d’un fatras d’inepties gaucho-démago, voilà que l’auteur présente Donald Trump comme le symbole d’un nouveau pouvoir chargé de renverser l’élite en place, discrédité à ce titre par les médias de ladite l’élite. Il faut avoir une paire de couilles bien accrochées pour applaudir ce que la masse grouillante et gonflée d’injonctions médiatique tient pour le diable. Rien que pour ça, ça vaut la peine que je ré-hausse la note de un point.


Un parti-pris politique qui tient de ma crèmerie, qui plus est énoncé par un artiste, c’est assez rare pour suggérer chez moi quelques mansuétudes. Cette même mansuétude qui, pour la peine, m’amènera à encourager tous les amateurs inconditionnels de Battle Royale à se jeter sur Btooom!

Il est à noter que cette version se trouve non pas être la fin, mais une des deux fins proposées au lecteur. L’autre est toute aussi mielleuse quoi que dépourvue d’élan révolutionnaire, mais le procédé se veut, d’après Junya Inoue, une première dans le milieu du manga. Celui-ci se justifiera de ce choix car étant incapable de répondre à ce dilemme opposant ses choix de créateur aux attentes du public. Il en profitera pour s’adonner à une critique mesurée du milieu éditorial japonais pour ce qui concerne le manga. Que ce soit une version ou l’autre, les deux conclusions sont finalement d’une pauvreté indigente et confondantes de bons sentiments trempés dans un bain de naïveté. Mais à chacun de choisir son poison pour conclure un repas qui, s’il n’était pas à se damner, méritait qu’on se déplace au moins pour y goûter.

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le 30 déc. 2022

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Josselin Bigaut

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