Horion
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Horion

Global Manga de Aienkei et Enaibi (2018)

Dans les éprouvettes de Glénat

C’est bien triste. Pour Aienkei surtout. Il est le seul (avec Enaibi, certes) créateur de son œuvre. Toutefois, d’un œil méfiant et scrupuleux, j’observe derrière lui la créature méphitique et vénéneuse venue donner de l’exposition à ses œuvres. Derrière Horion, je vois Glénat. «Où est le mal ?» me demanderont les plus candides – et surtout les plus jeunes. Le mal, Glénat, il en est fait. Ma mémoire est constitutive chez moi d’un tempérament pour le moins rancunier ; j’oublie rien. Je n’oublie pas les mangas imprimés dans le sens de lecture occidental, je n’oublie pas la qualité dégueulasse des reliures de mes vieux Dragon Ball, je n’oublie pas le mépris pour le support même que représente le manga pour cette maison d’édition qui les aura vendus comme des sous-BD. Eh puis, mes fâcheries avec Glénat, elles sont d’autant plus tenaces et vindicatives qu’elles sont personnelles ; on n’a franchement pas idée de détenir les droits de Desert Punk pour ne plus l’éditer.


«Mais c’était un autre temps !» m’objecteront ces mêmes naïfs, ces avocats du diables qui gagneraient à être pourléchés par les flammes de l’Enfer. Je mesure le respect accolé au manga à ce que Glénat propose en matière de production française. Le fait qu’ils soient détenteurs des droits de One Piece – dont ils ont été jusqu’à modifier le nom d’un des personnages principaux entre autres méfaits – n’aide pas particulièrement. Mon pauvre Aienkei, c’est à croire que je vous ai condamnée avant même de vous avoir jugée.


Je ne pense cependant pas me fourvoyer en allant jusqu’à prétendre que ma critique se focalise bel et bien sur le fond de l’œuvre et ce qu’elle suggère. Le début, pour commencer – car c’est toujours plus opportun de commencer par le début – m’apparaît assez rebutant. La narration y est allusive, nébuleuse, et le passage d’une page à une autre ; parfois d’une case à une autre, est assez bancal au point de nuire à la compréhension même de ce qui nous parvient. Un lecteur comprendra l’essentiel en le devinant plus qu’en en saisissant chacun des tenants et aboutissants.


Les personnages sont présentés très brusquement, sans finesse ni la moindre subtilité. Quant à leur personnalité… on peut difficilement faire plus Shônen que ça. Mais le Shônen, c’est un genre dont il faut savoir se jouer habilement des codes pour que l’œuvre qui en résulte soit innovante et appréciable. Piocher ses mains grasses dans le bocal à archétypes, ça n’est pas l’initiative la plus engageante qui soit lorsqu’il est question de nous mettre sous le nez des personnages susceptibles d’être appréciés pour ce qu’ils ont d’appréciables. J’ai le sentiment qu’un personnage est un bloc de granit qu’il faut savoir tailler avec minutie pour lui donner la contenance qu’il mérite. Certains s’arrêtent de tailler prématurément, pour donner une forme rudimentaire mais acceptable, mais d’autres, quant à eux, se contentent de dessiner à la craie un petit bonhomme sur le morceau de granit. Aienkai est de ceux-là, et c’est à déplorer. Encore un mangaka français qui échoue à relever le niveau.


Le dessin est relativement travaillé, nous exhibant quelques graphismes impersonnels mais satisfaisants pour ce qu’ils ont à offrir. C’est du bishônen contemporain, et j’écris ces mots avec tout le mépris que peut contenir ma bile lorsqu’elle se mêle à l’encre qui s’en fait le medium. La tâche de l’auteur, pour ce qui est du dessin, est cependant plus méritoire que celle de bon nombre de mangakas qui, eux, se reposent sur une batterie d’assistants, ce qui n’est pas forcément le cas ici. On pourra peut-être retrouver quelques inspirations puisées auprès de Hiromu Arakawa pour ce qui est des traits et de certains character design. Aienkai, toutefois, ne laisse pas une marque qui soit typique de sa plume.


Et ils sont bruyants ces personnages, on les entend même à travers le papier. Ce n’est pas qu’ils sont vivants, mais ils sont exubérants pour la finalité de l’être. Tout ce petit monde crie pour un rien, s’agite à toute occasion et, finalement, masque bien mal, par l’usage excessif d’une forme erratique, un manque flagrant de fond dans les propos énoncés.


L’univers est mal défini. On part sur un contexte plus ou moins médiéval pour ce qui est de l’esthétique, mais on s’en tiendra à cette esthétique exclusivement. Le monde ne se construit pas au gré du périple entamé par les personnages principaux ; il n’est pas même suggéré. Par instants, un élément qui le compose nous tombe dessus pour les besoins de faire avancer l’intrigue, mais il n’y a à proprement parler aucune édification véritable de l’univers dans lequel composent les personnages.


Ô surprise, Koza et Valyu survivront au test censé faire d’eux des éveillés. De surprise, n’en espérez pas trop. Ni même aucune d’ailleurs. Tout ce que vous aurez vu ici, vous l’aurez vu ailleurs. Et souvent en mieux. Le test de la toupie, d’instinct, rappellera celui du verre d’eau à qui l’aura un jour constaté, même d’un œil distrait. Quant au test pour récupérer le livre…. c’est le test des clochettes. En moins bien, toujours.


La reine-mère frigide et le fils désinvolte, j’ai l’impression d’avoir lu par cent fois déjà. Ceux qui se nourrissent d’idées neuves, à l’aune du lecture d’Horion, devront impérativement se familiariser avec le principe du jeûne. «Je veux devenir fort, assez pour protéger les autres», ça aussi je l’ai déjà entendu quelque part… je dirais même que je l’ai entendu partout, assez pour que cette phrase active chez moi un Manchurian Candidate prêt à accomplir le pire du fait du conditionnement. C’est donc ça l’idée que se fait Glénat d’un Shônen ? Voilà qui explique tellement de choses. Notez bien que Glénat n’est pas seul en cause dans l’affaire ; Pika avait fait bien pire dans le genre.


C’est très court Horion, rien que l’affaire de quatre volumes à ce jour, mais ça trouve le moyen de condenser tous les truismes et les grosses ficelles du Shônen actuel. Ces grosses ficelles, on se prend les pieds dedans à chaque chapitre qui passe et on ne manque jamais de se vautrer. Un arc sauvetage de son meilleur ami dans un manga de quatre volumes uniquement : c’est fort. Qu’on m’excuse cependant si je retiens mes applaudissements ; c’est-à-dire qu’à force de me baffer pour forcer à lire, mes paumes sont quelque peu endolories.


Les pouvoirs engendrés par les talents sont évidemment eux aussi dépourvus d’imagination. Ceux qui en attendraient des stands prêteraient alors le flanc à une violente déconvenue. Pouvoir du feu d’une part, pouvoir de l’eau en contrepartie et pouvoir de la glace ailleurs ; n’en espérez pas non plus un usage ingénieux, c’est aussi cliché et peu inspiré que ça en a l’air.


Cette lecture me fut recommandée par l’aimable sieur Lamfad. Il avait, à cette occasion, supputé ou du moins établi l’hypothèse que, possiblement, le salut du Shônen pourrait bien provenir de nos contrées. Si tel est sa conviction je me dois de lui faire parvenir mon rapport afin de tempérer ses espérances : parce que le renouveau ne viendra pas d’une œuvre justement incapable d’avoir une idée nouvelle. La renaissance du manga par la plume française, jusqu’à preuve du contraire – que je souhaite un jour constater de mes yeux – ça n’est apparemment pas au programme. Pas ici en tout cas. Et si renaissance du Shônen il devait y avoir… il ne fait nul doute que Glénat n’en serait pas vecteur. Bon Dieu…. quand je pense que ces saligauds tiennent Desert Punk en otage !

Josselin-B
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le 28 juil. 2023

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Josselin Bigaut

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