Fire Force
6.2
Fire Force

Manga de Atsushi Ōkubo (2015)

Quand l’autodafé s’auto-plébiscite

J’envisage la programmation. La vocation m’est venue dès l’instant où fut entamée ma lecture de Fire Force. Par programmation, j’entends par là la discipline informatique. De quoi garnir variables et algorithmes de quelques commandes automatisées pour me faciliter le travail critique. Ce programme, né de mes lignes de code, je le baptiserais «simulateur de critique Shônen».

Parce que, oui, si un Shônen aujourd’hui s’en tient à une nomenclature suffisamment étriquée pour que plus jamais son lectorat trouve prétexte à triquer, pourquoi n’en serait-il pas de même pour toute critique adressée à leur endroit ? À quoi bon, en effet, critiquer deux produits standardisés quand ceux-ci sont sortis du même moule ? Un lapidaire et koffien «C’est de la mêêêrde» motiverait les contradicteurs à soutenir que la critique n’est pas fondée ; que de critique, il n’y en a pas. Ça se tient. En tout cas, ça se tenait quand mon palmarès de critiques était plus modeste. Car alors que je n'en finis plus les déjections éditoriales de la Shueisha – entre autres malfaisants – à raison de plusieurs kilotonnes d’un trait de plume, je me rends compte avec le recul que toutes ces critiques, ces lamentations bilieuses et acides, elles posaient le même constat en changeant simplement l’angle de la focale de quelques degrés. Une immondice, de face, de dessus, ou latéralement ; c’est une immondice. Elle offre quelques vagues divergences de forme selon d’où on l’aborde, mais elle reste ce qu’elle est.


Les maisons d’édition chargés de nous gratifier de quelques Shônens se conçoivent et se conscientisent aujourd’hui comme de vastes systèmes digestifs. Les auteurs sont saisis pour être jetés entre des mâchoires chargés de les broyer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une bouille malléable. De là, ils sont avalés pour faire partie d’un tout dans lequel il se dissoudront jusqu’à disparaître ; qu’il ne reste pas même une étincelle de créativité dans l’organisme qui les a ingérés. Leur postérité ? Elle se concrétisera au bout de ce même système digestif. Atsushi Okubô a fait des progrès, je le sais pour l’avoir suivi des temps de Soul Eater. Des progrès qu’il aura choisi d’orienter dans la direction inverse que celle attendue.


Des dessins plus soignés – mais si lisses – des personnages un tantinet moins exubérants – mais si creux – en clair, il a arrondi les angles. Il est parti de l’idée des pompiers, a créé de là son univers, celui-ci étant moins fantasque que celui de son succès précédent, puis a poussé l’intrigue du bout du style en s’imaginant que celle-ci irait de soi.


Dans la scénographie, la manière d’agencer les planches et les personnages ou encore dans le dessin, un lecteur, à l’instinct, se sentira parfois en terrain connu, quelque part happé dans une atmosphère cherchant à se rapprocher de celle d’un Full Metal Alchemist. Un Fool Metal Alchemist pourrait ont dire car la proximité entre les deux œuvres, si elle est suggérée, ne se borne qu’à une tentative d’incarnation à défaut de savoir émuler la substance de l’œuvre.


Le socle de l’œuvre dans toute sa lourdeur et son manque d’imagination, se repose et même s’affale sur une ficelle scénaristique tressée de longue date. C’est une chasse aux démons. Alors ? Hollows ? Yôkais ? Fléaux ? Eh bien non, la réponse était Akumas. Car c’est bien dans la trame de D. Gray Man qu’aura pioché l’auteur d’une pleine poigne. Le tout, sans trop s’embarrasser à trier ce dont il s’était saisi avant de le jeter sur ses planches. Les êtres proches transformés en entité spirituelle nocive, ceux-là nécessitant un exorcisme pratiqué par les membres d’une organisation instituée, tout cela nous renvoie indubitablement sur les traces de Katsura Hoshino. La noirceur du ton en moins et l’immaturité en substitut. Une immaturité abondamment gratifiée d’ecchi, ai-je seulement besoin de le préciser.


Un protagoniste principal utilisant la puissance des flammes pour résoudre le moindre problème, j’ai donné ; j’ai donné jusqu’à une partie de ma santé mentale. Le traumatisme ne sera que mieux ancré en moi alors que dans ces pages, les personnages à faire usage de ce même pouvoir, ils se recensent par centaines. L’imagination, là encore, est carencée ; rationnée même, puisqu’on nous dispense au mieux quelques rares attaques innovantes au milieu de la déferlante explosive continue qui nous écorche les oreilles en silence.


C’est tout de même triste un auteur qui, lorsqu’il fait des références, les adresse exclusivement à l’intention de ses œuvres précédentes. De l’une d’elles en particulier. Entre Excalibur (CLIN D’ŒIL!!!), le logo de Soul Eater qui apparaît sans arrêt, sans compter le reste, il y a de quoi être gêné. Et le dernier chapitre, à ce titre, nous achèvera dans un soupir de consternation qui, poussé avec tant d’atterrement, videra jusqu’à la dernière parcelle d’oxygène disponible dans nos poumons. Mais nous y reviendrons. Nous y reviendrons comme on passe la marche arrière pour revenir sur le gibier qui nous a bousillé le pare-choque ; pour se soulager d’une part, et parce qu’il ne saurait en être autrement tant l’animal l’a mérité.


De scénario, il n’y en a point. Rien qu’une feuille de route lue et relue jusqu’à la nausée dans des œuvres analogues – elle aussi de pauvre facture – avec quelques ressorts scénaristiques rouillés pour chercher à relancer l’intérêt chapitre après chapitre. Le coup du frère qui a survécu au massacre initial et rejoint le camp de l’ennemi… j’ai le poids du poncif que m’alourdit l’âme rien que de l’écrire. À quoi bon lire Fire Force puisqu’un lecteur à peine érudit en matière de Shônen l’a de toute manière lu ailleurs, et en mieux. Au regard des affrontements qui s’orchestrent sans mélodie, le manga n’a ici rien à envier à ce qu’aurait pu régurgiter monsieur Mashima un lendemain de cuite. Oui, décidément, il me faut un programme informatique pour pré-rédiger une critique après avoir analysé les planches. Toutefois, je crains qu’une fois présenté à la puissance de la médiocrité déballée devant les algorithmes, le programme de lecture Shônen prenne vie pour mieux se l’ôter aussitôt et abréger son calvaire.


Ceux-là chargés de lutter contre les infernaux qui contribuent en secret à leur essor en pratiquant des expériences et qui s’associent à eux… c’est du jamais vu… pour un aveugle du moins. Non, vraiment, ça ne dit rien à personne ? Si je vous dis Aizen, si je vous dis Sensui, il n’y a rien qui vous vient à l’esprit ? Et ce ne sont que des exemples parmi taaaaaant d’autres. Non, n’espérez par trouver ne serait-ce que la tentative d’une ébauche d’originalité dans Fire Force. Tout ce que touche l’auteur sent irrémédiablement le cramé dès lors où il l’a frotté de sa plume. Nous ne parlerons pas du chef de l’organisation borgne qui trahit les héros. Non, nous n’en parlerons pas car je m’en voudrais d’insister sur la thèse selon laquelle l’auteur aurait vraiment pioché indistinctement dans Full Metal Alchemist avant de nous vomir un globiboulga dont il ne pouvait définir ni finalité ni même le sens. Je passe sur le traditionnel et même sempiternel arc de rescousse d’un des protagonistes : le cahier des charges est respecté à la virgule près en respectant jusqu’à la moindre rature.


Qu’attendre d’une œuvre qui a commencé sans jamais exister et qui a perduré sans raison si ce n’est qu’elle meure dans la triste continuité de ses œuvres ? Sur la conclusion, l’auteur s’imaginais peut-être nous faire un Stone Ocean pour aboutir à un Fire Punch. Et en moins bien ! Okubô n’a pas même été foutu de couper le cordon d’avec son œuvre précédente. Cette conclusion, qui survient comme une chute lourde et prévisible, nous balance à l’envolée un «Ah ouais, au fait, c’est un préquel de Soul Eater. Impressionnant, non ?».

Non.

Il ne suffit pas de nouer maladroitement les deux œuvres l’une à l’autre en fin de parcours pour parler d’une trame commune. Ce n’est même plus de la facilité à ce stade, c’est de la scotomisation (j’ai appris le mot aujourd’hui, donc je m’en sers) caractérisée. Il invente ce qu’il n’a pas lieu d’être en nous assurant que le rendu et cohérent tout en se gardant bien de nous le démontrer. C’est misérable et, pour ce bas-fait, Fire Force s’inscrit ainsi dans la norme éditoriale instituée.

Josselin-B
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le 6 janv. 2023

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Josselin Bigaut

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