Alexandre Astier, créateur, scénariste et interprète de Kaamelott, a toujours eu l’ambition de dépasser le simple cadre de la comédie de format court qui a fait connaître la série sur M6. Lors des premiers livres, et en particulier du Livre I, il rêvait déjà d’explorer des récits relevant davantage de la grande épopée d’heroic fantasy, avec des créatures fantastiques, des combats spectaculaires et une atmosphère épique. Malheureusement, les contraintes budgétaires inhérentes à un programme court ne lui permettaient pas d’inclure des dragons, des batailles massives ou d’autres éléments spectaculaires caractéristiques du genre. Sur le petit écran, il devait donc composer avec des moyens limités, mais sur papier, les contraintes disparaissent : le dessin ouvre la porte à toutes les extravagances, sans limite autre que l’imagination de l’auteur.
En novembre 2006, Kaamelott (Tome 1) : L’armée du Nécromant sort chez Casterman. Fidèle à son habitude, Alexandre Astier ne délègue pas l’écriture et signe lui-même le scénario, garantissant ainsi une continuité avec l’univers original de la série.
Dès les premières pages, on reconnaît sans peine l’écriture d’Alexandre Astier : son style caractéristique, ses dialogues incisifs, ses petites manies de langage reprises de ses personnages emblématiques. On retrouve aussi ce mélange subtil entre sérieux historique et humour absurde, marque de fabrique de la série. Pourtant, malgré cette fidélité apparente, quelque chose semble manquer. Le rythme ne prend pas aussi bien que dans les épisodes télévisés. La lecture est fluide, rapide, presque comme le visionnage d’un sketch, mais l’alchimie comique, elle, paraît légèrement émoussée. On a la sensation d’assister à une pièce familière, mais jouée sans la même intensité.
Là où la bande-dessinée change véritablement de ton, c’est dans l’ajout assumé de l’heroic fantasy. Bohort, fidèle à lui-même, panique à la simple vue d’une armée de morts-vivants approchant les frontières du royaume. Les chevaliers de la Table Ronde, toujours plus ou moins maladroits, se lancent alors dans une enquête pour remonter aux origines de cette menace. Leur quête les mène jusqu’au Nécromant, chef d’une armée de cadavres ambulants… Qui, loin d’incarner une figure terrifiante, se révèle être un antagoniste quelque peu benêt. On retrouve donc l’idée chère à Astier : détourner les codes épiques pour en faire matière à comédie.
La fin du tome, en revanche, laisse un goût amer. Elle n’est pas à la hauteur des attentes suscitées. Alexandre Astier l’a souvent affirmé : il aime donner à ses personnages des objectifs grandioses, des quêtes héroïques, précisément pour mieux souligner la drôlerie de leurs échecs. Mais ici, l’issue n’est ni véritablement un échec, ni un succès éclatant. On obtient une résolution en demi-teinte, sans gloire ni franche absurdité, ce qui atténue l’impact comique et dramatique du récit. On sent la volonté de clore, mais sans atteindre l’intensité qu’on espérait.
Steven Dupré, aux dessins, peine à convaincre : les personnages emblématiques de la série sont reconnaissables, mais uniquement de loin, comme des caricatures approximatives. Son style, anguleux et peu expressif, ne semble pas adapté à la subtilité des personnages ni à l’univers à la fois sombre et burlesque de Kaamelott. Pour ne rien arranger, la colorisation de Benoît Bekaert accentue cette impression de déséquilibre : les couleurs sont criardes, trop vives, manquant de nuance et de profondeur. L’erreur la plus flagrante étant la Dame du Lac, affublée de cheveux blonds au lieu de sa chevelure rousse, comme si une incompréhension s’était glissée dans la direction artistique. Cet aspect visuel casse une grande partie de l’immersion et alourdit la lecture.
Kaamelott (Tome 1) : L’armée du Nécromant représente une curiosité plus qu’une réussite. On y retrouve la plume acérée d’Alexandre Astier et son humour singulier, mais transposé dans un format qui ne lui rend pas toujours justice. L’idée d’intégrer pleinement l’heroic fantasy est séduisante, mais la réalisation souffre de plusieurs faiblesses, notamment un rythme en demi-teinte et une partie graphique loin des attentes. Ce premier tome se lit vite, se parcourt avec une certaine sympathie, mais laisse derrière lui une impression de projet inabouti. Un objet intéressant pour les amateurs de Kaamelott, mais certainement pas une porte d’entrée idéale dans l’univers d’Astier.