Avec la sortie de Elfes (Tome 1) : Le Crystal des Elfes bleus, j’avais introduit le fonctionnement des Terres d’Arran, un univers foisonnant conçu autour de cinq peuples d’elfes. Le concept repose sur une collaboration singulière : cinq scénaristes, cinq dessinateurs, et cinq histoires. Chaque saison de cinq albums suit un cycle immuable : Elfes bleus, Elfes sylvains, Elfes blancs, Semi-Elfes et Elfes noirs, un ballet narratif orchestré avec minutie. Les albums, publiés chez Soleil, nous entraînent dans un univers riche et cohérent, où chaque peuple est mis en lumière tour à tour.
L’originalité de la série réside notamment dans le tissage parallèle des intrigues. Si la première saison dresse une fresque d’aventures indépendantes, chacune campée dans une région des Terres d’Arran, les tomes suivants révèlent une convergence progressive. Les destins des personnages, disséminés aux quatre coins de cet univers, commencent à s’entrelacer, préfigurant une grande fresque épique.
Elfes (Tome 5) : La dynastie des Elfes Noirs, paru en janvier 2014, s’inscrit évidement dans cette dynamique. Aux commandes, Christophe Arleston pour le scénario et Ma Yi les dessins.
Dans ce cinquième tome, on découvre les origines mystérieuses des elfes noirs, figures emblématiques et inquiétantes de la saga. Arleston nous apprend que ces créatures ne sont pas une race indépendante, mais le résultat d’une mutation interne aux autres peuples elfiques : chaque elfe, qu’il soit blanc, bleu, ou autre, porte en lui un gène noir latent. Ce gène, comparable à une ombre enfouie dans leur essence, ne se réveille que dans certaines circonstances extrêmes, révélant une part sombre et violente de leur nature. Ce concept enrichit considérablement la mythologie des Elfes, en montrant que la noirceur n’est pas une différence raciale, mais une possibilité intérieure, un potentiel de corruption ou de transformation.
Le récit se concentre sur Gaw’er, un elfe bleu promis à un avenir honorable, qui voit sa destinée basculer lorsqu’il devient à son tour un elfe noir. Sa transformation, à la fois physique et morale, est au centre de l’intrigue. On suit son initiation, ses doutes, sa perte d’innocence, mais aussi sa fascination pour cette nouvelle force qui l’habite. Arleston parvient à rendre ce passage crédible et poignant : Gaw’er, rebaptisé Gaw’yn après sa métamorphose, incarne la dualité de l’âme elfique, tiraillée entre noblesse et cruauté, entre idéal et instinct. Cette évolution constitue le véritable cœur dramatique du tome.
L’essentiel de l’action se déroule dans la forteresse de Slurce, un lieu aussi fascinant que terrifiant, où les jeunes elfes noirs apprennent à devenir des assassins d’élite. Cet environnement, à la fois militaire et mystique, forge le caractère de Gaw’yn et de ses camarades. On découvre leurs épreuves, leurs rivalités, leurs ambitions : autant d’éléments qui rappellent les récits initiatiques classiques, mais plongés dans une ambiance d’obscurité et de mort. Gaw’yn s’y distingue rapidement comme l’un des meilleurs élèves, maîtrisant l’art du meurtre et de la dissimulation avec un talent presque inquiétant.
Visuellement, ce tome est l’un des plus réussis de la série. La forteresse de Slurce, bâtie dans une architecture ciselée et menaçante, contraste avec la splendeur de l’île marchande présentée au début du récit. Les décors regorgent de détails : statues, souterrains, marchés étranges, et créatures chimériques composent un monde à la fois cohérent et envoûtant. Le bestiaire est riche et marquant, renforçant la sensation d’un univers vivant et foisonnant. Chaque planche témoigne du soin apporté à la composition et à l’atmosphère.
Ma Yi impose ici une identité visuelle forte. Son style, marqué par une influence gothique et baroque, sert parfaitement le ton du récit. Les ombres dominent, les contours sont acérés, les textures sombres. Tout est noir, brut, tranchant, à l’image des elfes qu’il met en scène. Ses dragons, en particulier, sont impressionnants : ils incarnent la puissance sauvage et la beauté monstrueuse de ce monde. On sent une véritable recherche d’atmosphère, où la lumière semble toujours lutter contre une obscurité envahissante. Le dessin n’est pas seulement illustratif, il devient narratif et symbolique.
Christophe Arleston (auteur que j’adore pour son monde de Troy) livre un scénario classique mais solide, sans surenchère inutile. L’histoire repose avant tout sur l’évolution du héros et sur la découverte d’un pan méconnu du monde elfique. Malgré sa simplicité, la narration fonctionne car elle s’appuie sur un personnage central attachant, des dialogues bien rythmés et une tension constante. On s’attache à Gaw’yn, on comprend ses choix, et on a envie de suivre son parcours au-delà de ce tome. Arleston joue avec des thèmes universels : la transformation, la perte de soi, la quête d’identité, ce qui donnent une résonance humaine à cet univers de fantasy.
Elfes (Tome 5) : La dynastie des Elfes Noirs se distingue par son ambiance sombre et introspective, son esthétique maîtrisée et son héros complexe. En explorant la genèse des elfes noirs, Christophe Arleston et Ma Yi enrichissent l’univers global de la série et proposent une histoire aussi tragique que fascinante. C’est à la fois une plongée dans les ténèbres et une réflexion sur la nature du mal, un épisode marquant, aussi bien sur le plan graphique que narratif.