« Je vis le Crystal. Et le Crystal m’appelait. » LANAWYN

Avec la sortie de Elfes (Tome 1) : Le Crystal des Elfes bleus, j’avais introduit le fonctionnement des Terres d’Arran, un univers foisonnant conçu autour de cinq peuples d’elfes. Le concept repose sur une collaboration singulière : cinq scénaristes, cinq dessinateurs, et cinq histoires. Chaque saison de cinq albums suit un cycle immuable : Elfes bleus, Elfes sylvains, Elfes blancs, Semi-Elfes et Elfes noirs, un ballet narratif orchestré avec minutie. Les albums, publiés chez Soleil, nous entraînent dans un univers riche et cohérent, où chaque peuple est mis en lumière tour à tour.

L’originalité de la série réside notamment dans le tissage parallèle des intrigues. Si la première saison dresse une fresque d’aventures indépendantes, chacune campée dans une région des Terres d’Arran, les tomes suivants révèlent une convergence progressive. Les destins des personnages, disséminés aux quatre coins de cet univers, commencent à s’entrelacer, préfigurant une grande fresque épique.

Elfes (Tome 6) : La mission des Elfes bleus, paru en juin 2014, s’inscrit évidement dans cette dynamique. Aux commandes, comme pour le premier tome, Jean-Luc Istin pour le scénario et Kyko Duarte pour les dessins.

On retrouve avec plaisir Lanawyn et Turin, les héros emblématiques du premier tome, à nouveau envoyés en mission par le roi des Elfes bleus du Nord. Cette fois, leur destination est Aspen, une cité mystérieusement abandonnée, devenue une véritable ville fantôme. Leur mission : comprendre ce qui a provoqué ce désastre. J’ai particulièrement apprécié ces retrouvailles, car la complicité entre Lanawyn et Turin reste l’un des points forts de la série. Leur relation, à la frontière entre l’amitié profonde et l’amour impossible, continue d’évoluer avec une justesse touchante, surtout face au danger et à l’inconnu. On sent que quelque chose se joue entre eux, quelque chose de fragile, de sincère et de retenu.

Pour mener à bien leur mission, le duo forme une petite équipe. Le premier membre de cette équipe et le redoutable Nerrom, l’orc nécromancien déjà aperçu dans le premier tome. Son retour est une excellente idée : il apporte une dimension à la fois sombre et mystique à l’aventure. Nerrom n’est pas seulement un renfort stratégique, il enrichit aussi la dynamique du groupe par sa personnalité ambivalente, à mi-chemin entre sagesse et menace. Grâce à lui, on en apprend davantage sur les orcs des Terres d’Arran, leur culture, leur rapport à la mort et à la magie. C’est un personnage fascinant, et j’étais ravi de le revoir tant il incarne parfaitement le ton épique et tragique de la série.

L’équipe se complète avec plusieurs nouvelles recrues : le couple de chasseurs Athé’non et Valamen, l’assassin Oriann, la sœur de sens Laewyn, et le capitaine du navire Tunnga. Ce groupe hétéroclite forme un ensemble à la fois varié et équilibré, où chaque membre a son utilité et son moment de gloire. Personnellement, je me suis beaucoup attaché au duo de chasseurs, dont la relation apporte une belle humanité à l’histoire. Leur complicité contraste avec la gravité de la mission, ce qui rend leur destin d’autant plus marquant. Malheureusement, tous ne reviendront pas de cette expédition périlleuse, et certaines pertes laissent une vraie empreinte émotionnelle.

L’enquête menée à Aspen prend rapidement une tournure inquiétante : les héros découvrent que le mal qui ronge la ville est lié à Lah’saa, une ancienne elfe revenue d’entre les morts. Animée par un esprit de vengeance et une volonté de conquête, elle cherche à étendre son pouvoir sur les Terres d’Arran en levant une armée de goules. Ce personnage, à la fois terrifiant et tragique, incarne à merveille la corruption de la magie et la fragilité du lien entre vie et mort dans cet univers. Le scénario gagne en intensité à mesure que les héros comprennent l’ampleur de la menace et réalisent qu’ils sont peut-être face à un ennemi bien plus ancien et redoutable qu’ils ne l’imaginaient.

Comme dans le premier tome, Kyko Duarte signe des planches d’une qualité exceptionnelle. Son trait dynamique et détaillé sublime aussi bien les Elfes bleus que les goules ou les paysages glacés du Nord. Chaque planche est un plaisir pour les yeux : les scènes d’action sont lisibles et énergiques, les expressions des personnages très justes, et les décors foisonnent de détails. Duarte parvient à mêler beauté et horreur dans un équilibre visuel remarquable. C’est un vrai festin graphique.

Ce sixième tome est sans doute l’un des plus intenses de la série. L’action y est omniprésente, mais toujours au service du récit. Les passages se déroulant à Aspen sont particulièrement réussis : la tension monte à chaque attaque des goules, véritables prédateurs infatigables. Le moment où l’on découvre un troll des glaces transformé en goule reste l’une des scènes les plus spectaculaires et glaçantes du cycle. Entre enquête surnaturelle, combat désespéré et exploration d’un univers en ruine, ce volume coche toutes les cases d’une excellente aventure de fantasy.

Elfes (Tome 6) : La mission des Elfes bleus est un tome intense et parfaitement maîtrisé. On retrouve avec plaisir Lanawyn, Turin et Nerrom dans une aventure riche en action, en émotions et en révélations. Le rythme ne faiblit jamais, et le dessin de Kyko Duarte sublime chaque scène, qu’elle soit épique ou dramatique. Entre enquête, horreur et héroïsme, ce volume s’impose comme l’un des meilleurs de la série Elfes et confirme toute la force de son univers.