Je révais d'un monde où des vélociraptors de métal taperaient la causette avec des hommes-chiens...

Suite et fin de la première saison de Top 10. Une conclusion de grande classe qui permet d'asseoir définitivement la précision scénaristique démentielle de Moore, même lorsqu'il écrit du comic populaire. Mais, à ce stade, peut-on encore parler de simple divertissement populaire ? Franchement, j'en doute.


Dans cette seconde partie, beaucoup de pistes, de personnages apparemment anodins et de petites histoires lancées dans le premier volume reviennent, croisent de nouvelles intrigues, s'interpénètrent, prennent de l'ampleur, nourrissent de nouvelles idées... on jurerait que ça ne s'arrête jamais ! Quintessence de la narration feuilletonesque, le travail effectué par Moore fout la honte à pas mal de séries télé actuelles finalement peu ambitieuses et qui se contentent de répéter les mêmes formules jusqu'à ce que les téléspectateurs, lobotomisés par une dizaine de saisons répétitives, se décident enfin à changer de chaîne...
Pourtant, Top 10 est rarement spectaculaire, scénaristiquement parlant. Ou, s'il l'est, c'est toujours en profondeur, jamais en surface. Les intrigues se placent dans le banal, le quotidien, l'anodin policier des meurtres et des viols qui se perpétuent dans toutes les grandes villes et qui rappellent l'indéfectible horreur qui caractérise l'espèce humaine. Mais lorsque le tout est mélangé à la démesure fictionnelle dont nous sommes également capables, depuis les récits mythologiques de l'Antiquité jusqu'à la science-fiction d'aujourd'hui, on obtient quelque chose de puissant, d'épique, un récit impressionnant de justesse lorsqu'il nous parle de nos phantasmes (rappelons que Neopolis est une ville de super-héros, de mutants, de dieux, etc.) éclairés à la lumière d'une réalité désacralisée (les affaires parfois sordides dont s'occupent les policiers héros de la série).
Top 10 pose donc cette question: l'imaginaire humain est-il assez puissant pour survivre encore longtemps à la déception toujours renouvelée de notre cadre de vie quotidien qui, forcément, l'inspire et le nourrit ? Oui ! répond l'incroyable scénariste. Le monde, aussi pénible à vivre soit-il, est une vaste histoire ou se croisent et se décroisent les destins et les points de vue. Dans Neopolis, un policier catholique peut travailler avec un collègue sataniste sans devoir se poser la question de savoir qui détient la vérité: tous les deux ont raison, l'efficacité de leurs super-pouvoirs en témoignent...
Ode à un multiculturalisme sain mais totalement utopique (personne n'empiétant sur personne malgré des tensions racistes réelles) et à un "vivre ensemble" artistiquement stimulant (chaque personnage enrichit réellement son environnement), Top 10 réussit à rester aussi drôle que tragique dans un mariage étonnamment cohérent malgré l'absurdité ambiante (voir l'épisode hilarant de l'invasion de souris dotées de super-pouvoirs qui résume, en quelques séquences, toute l'histoire des comics !). A aucun moment le récit ne devient "prétentieux" comme disent certaines mauvaises langues à propos de Watchmen ou de From Hell. Le second-degré est trop bien manié pour tomber dans ce travers. Le ciment qui maintient le tout en place est peut-être bien l'incroyable trait de Gene Ha. Fortement influencé par le dessin européen, ses tableaux demeurent chaleureux et toujours aussi fouillés. Il faut absolument s'attarder sur chaque case afin de relever tous les clins d'oeil et les références fictionnelles qui soudent la ville de Neopolis: Astroboy, Star Trek, Donald Duck, La planète des Singes, Star Gate, Futurama mais aussi les Schtroumpfs, Astérix et Obélix (véridique !)... les passants qui grouillent dans les rues sont un hommage constant aux oeuvres les plus bigarrées, nous faisant croire plus que jamais à la véracité de cette "méta-lopole" de Neopolis (oui, j'invente des mots quand ça me parait judicieux).
Mon seul regret est d'avoir appris que la deuxième saison n'est plus scénarisée par Moore ni même dessinée par Gene Ha... On prétend pourtant que le résultat n'est pas mauvais, alors je me jetterai sans doute dans cette lecture, surtout que tous les fils narratifs ne sont pas dénoués dans cette première saison. Toutefois, le duo originel a encore travaillé sur deux spin-off qu'il me tarde de découvrir: un opus qui se concentre sur le monde d'origine d'un des héros (Smax), une terre bourrée de clichés de fantasy joyeusement détournés, et un autre album qui détaille les débuts de Néopolis en 1949.

D'ici là, vous savez ce qu'il vous reste à faire...


Critique du tome 1 (Urban Comics): http://www.senscritique.com/bd/top-ten/778123495807528/critique/lepsychopathe/

Amrit
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le 14 juil. 2012

Modifiée

le 2 août 2012

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Amrit

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