Bouddha était un aristocrate devenu ascète de l'Inde antique. Il était soit gros et chauve avec des oreilles tombantes, soit mince et somnolent avec un chignon. Il a fondé un culte ayant pour philosophie de vie l'abandon des désirs, source du mal humain, et pour but d'atteindre l'éveil et d'échapper au cycle des réincarnations. Depuis sa mort, le nombre de ses adeptes n'a cessé de croître sur le continent asiatique, jusqu'à propulser le bouddhisme au rang de quatrième religion mondiale. Hélas, cela reste un peu trop complexe et ne tue pas assez de monde pour passer souvent à la télé.
Osuma Tezuka était un auteur de manga japonais de la seconde partie du XXème siècle. Il avait des lunettes et un chouette béret. On reconnait ses œuvres à leurs dessins souvent approximatifs, proches du cartoon, à leurs thèmes originaux, et à leur quatrième mur percé. Y sont aussi représentés divers signes de fantasmes biscornus et de misanthropie d'une intensité rarement égalée. Bien qu'il soit de nos jours considérés comme l'un des pères du manga moderne, vous pouvez en général toujours courir pour trouver un fan du genre qui ait vraiment lu ses albums, voir qui en ait entendu parler. L'un dans l'autre, un homme sympathique
Que l'un de ces deux personnages écrive un manga sur l'autre n'était donc bien entendu qu'une question de temps. Et c'est Tezuka qui s'y est collé le premier. Et il a très bien fait.


Pour tout vous dire, je renâclais un peu à l'idée de commencer cette série de huit tomes. Le bouddhisme, tout ça, c'est très bien, mais non seulement ça ne me touche pas spécialement, mais je craignais une forme d’académisme, voire de mornes bondieuseries. Les hagiographies sans nuances ont toujours eu tendance à me faire décrocher. Évidemment, ce manque de foi envers Osamu « Bougre-de-Tordu » Tezuka faillit me faire passer à côté d'une de ces plus belles œuvres. Mea Maxima Culpa.
Parce que l'auteur a beau trouver Bouddha sympathique, il n'en renonce pas pour autant à ses premières amours, diverses, vastes et parfois un peu sales. Rayez donc « la vie de Bouddha ». « Les aventures de Bouddha » serait un titre plus approprié. Ou « les chroniques de l'hindoustan ». Ou « le destin des trois royaumes : princes et prophètes ». En fait, vous pouvez mettre le titre le plus générique que vous voulez, vu que l'oeuvre colle à grosso-modo tous les genres. Une pincée de politique, un brin de quête initiatique, un peu de biographie, une louche d'humour idiot, une cuillerée de surnaturel... En fait Tezuka applique sa technique favorite : mêler les genres pour divertir. Toujours garder l'attention du lecteur. Si vous connaissez un peu son travail, vous savez qu'il y a une récurrence qu'on ne peut pas lui nier : on ne s'ennuie jamais. Même dans son œuvre la plus mineure, le type a une telle imagination qu'il trouve toujours une dinguerie à sortir de son béret. Ici, on est quand même un peu sérieux, donc il se refrénera autant que possible. Mais pas trop non plus.
Siddharta (aka Bouddha, vous suivez?) n'est au final qu'un personnage parmi d'autre, et sa vie n'est qu'un des arcs d'une histoire beaucoup plus vaste. Trois grandes lignes d'intrigues s'entrecroisent : Géopolitique, mystique et personnelle. Parce que Bouddha était le prince d'un petit clan, nous suivrons sa famille, son peuple et ses ennemis. Parce qu'il est celui choisi par Brahma pour apporter l'illumination aux hommes, nous suivrons son cheminement spirituel et les idées qu'il développera au fil de ses rencontres et apprentissage. Parce que ce n'est malgré tout qu'un homme, nous verrons ses moments de faiblesse, d'enthousiasme, de paix ou de doute. Le tout pas du tout enrobé dans aucun ruban rose, car ce ne sont que fadaises matérielles.
Car si j'ai appris quelque chose sur le Bouddhisme à travers ce manga, outre la profondeur de sa spiritualité et sa fondamentale bienveillance, c'est que ça s'oppose à tout ce que les anime m'ont toujours appris. Crois en tes rêves ? Non, renonces-y, les désirs ne t'apporteront que le malheur. Sois fidèle à toi même ? Jusqu'à ce que Bouddha te convainque d'arrêter, en tout cas. Sois fidèle à tes amis et à ceux qui t'aiment ? A moins qu'ils se mettent entre toi et une vie pure et austère. Sois bon, dans les limites du raisonnable, sois passionné, mais pas trop, sois humble, parce que ta vie ne vaut pas plus que celle du papillon lambda... Mouais, pourquoi pas, mais c'est pas vraiment glamour, tout ça. Pas vraiment ma coupe de cidre. Et j'ai l'impression que ce n'est pas vraiment le trip de Tezuka non plus. Les principes les plus autoritaires du culte sont donc relégués aux second plan, les trois édits principaux sont même improvisés sans cérémonie par un Bouddha agonisant ( imaginez « ah et au fait, ne mangez pas de porc et aimez vous les uns les autres, ce serait bien » écrit au stylo bic dans la marge de leur livre respectif ). Pour compenser, l'auteur parlera abondamment de l'aspect plus spirituel. La connexion à l'Hindouisme traditionnel, le cycle de réincarnation, le concept d'empathie, la recherche de l'altruisme pacifique, voilà ce qui fait les grandes questions et révélations de cette série. L'art un peu naïf de Tezuka est particulièrement adéquat pour représenté ces grandes idées, en lesquels il semble avoir plus de foi qu'en Bouddha.
Bouddha lui-même reçoit un traitement tout en nuance, entre l'homme et le mythe. D'un côté, sa naissance a été prédite par les dieux, il se fait obéir des animaux, il a un charisme surnaturel, il est en contact avec des éléments divins, c'est un grand orateur, un guérisseur, un homme bon, et il a un gros pénis. Ce dernier point ne sort pas de mon esprit malade, mais de celui de Tezuka. Mais d'un autre côté, ça ne reste malgré tout qu'un être humain, qui doit mériter chacune de ses avancées dans l'obtention du Nirvana. Chétif et maladif dans son adolescence, sa décision de quitter son rang princier participe à la chute de son clan contre laquelle il ne peut et ne veut rien faire. La réalité le rattrape souvent. Il n'est pas invulnérable, succombe aussi bien à la maladie qu'à la diffamation. L'auteur va parfois jusqu'à le montrer comme moralement discutable, par son traitement de sa femme et de son fils, par exemple, qu'il décide carrément d'abandonner pour qu'ils ne gênent pas son développement spirituel, et envers qui il sera presque froid durant leurs retrouvailles près de vingt ans plus tard. L'homme à ses faiblesses, vieillit, se trompe, échoue parfois, et ses échecs coûtent chers, à son peuple comme à lui. Mais il est clair qu'il essaie toujours de devenir meilleur, de reconnaître ses erreurs, de progresser. Et c'est de cette façon que Tezuka arrive à réunir en lui le prophète, le héros et le personnage profond.
Autour de lui le monde s'anime, et un grand nombre de personnages croisent sa route ou influencent sa destinée d'une façon ou d'une autre. On a une vraie galerie de caractères variées, rois, guerriers, brigands, brahmanes, certains plongés dans la politiques, d'autres connectés au surnaturel. Des figures perdent et gagnent de l'importance selon le cours de l'histoire, des royaumes nous sont lentement décrits. Certains acteurs majeurs se donnent même le luxe de n’apparaître tard dans l'histoire, comme Ananda, l'élu de Mara (le diable local) pour vaincre Bouddha.
Par ailleurs, je remarque avec un certain amusement que ce manga reprend pas mal de thèmes d'autres manga de la même époque. A savoir : représentation random de la vie sauvage pour symboliser la rudesse du monde civilisé, un personnage outrancièrement capitaliste (ici Devadatta, dans une interprétation libre et un peu gay), des descriptions socio-culturelles partout, des mini-arcs à messages hors-sujet, et un géant, parce qu’apparemment tout manga se déroulant dans le passé est mieux quand un type frappé de gigantisme sans raison se balade dans le coin. Go figure. Et lire Kamui-Den.


Au final, la conclusion se fait d'elle même en un aboutissement ultime et redondant. Lisez la vie de Bouddha. Il y en a pour tous les goûts, c'est instructif, distrayant, profond, enrichissant et plein d'autres trucs encore. Si vous vous intéressez au sujet, jetez vous dessus. Si ça ne vous intéresse pas, jetez vous dessus aussi, ça vaut le coup de sortir des sentiers battus. Quand à moi, je vais aller rallumer des cierges pour qu'on découvre « La vie de Jésus » dans le grenier de l'ami Tezuka.

Kevan
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le 31 oct. 2016

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