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« Il avait ses quatre mandibules. Ce n’était pas lui. » THETA NEDRA BERWICK

En 2019, The Walt Disney Company conclut l’un des rachats les plus marquants de l’histoire du divertissement : celui de la 21st Century FOX. En déboursant une coquette somme, Disney met la main sur un immense catalogue de franchises cultes. Outre Avatar, The Planet of the Apes et Alien, la firme acquiert aussi une licence emblématique du cinéma de science-fiction et d’action : Predator.

En été 2022, Prey est distribué directement sur la plateforme Disney +. Réalisé par Dan Trachtenberg, le film fait office de prequel à la saga Predator et replace la créature dans un cadre inédit : l’Amérique du Nord du XVIIIe siècle, au sein d’une tribu Comanche. Ce pari audacieux s’avère gagnant, le film reçoit un accueil critique excellent, salué pour son approche sobre, sa tension maîtrisée et sa mise en valeur de la culture amérindienne. Ce premier film de la saga Predator par Disney marque ainsi une véritable renaissance pour la franchise, tout en prouvant que Disney peut gérer intelligemment un univers bien plus brutal que son image habituelle.

Le même été, en aout, Disney lance le premier numéro du comics Predator : Day of the Hunter, publié sous le label MARVEL Comics aux États-Unis. Ce lancement confirme que Disney ne compte pas cantonner la licence à sa plateforme de streaming : l’objectif est d’en faire un univers trans-médiatique. Comics, films, animés… Le Predator s’apprête à chasser sur tous les terrains. L’idée est claire : prolonger l’héritage de la créature iconique tout en explorant de nouvelles périodes, de nouveaux personnages et de nouveaux points de vue, à travers des récits plus variés mais toujours ancrés dans la brutalité et la survie.

Ed Brisson, auteur canadien reconnu dans le milieu du comics, est aux commandes du scénario. Véritable vétéran du secteur, il a signé des travaux marquants pour Image Comics, DC Comics, et surtout MARVEL. Brisson va apporter à la série Predator une écriture nerveuse, directe, centrée sur la survie et la vengeance, des thèmes parfaitement en phase avec l’esprit de la franchise.

Kev Walker, illustrateur britannique au style immédiatement reconnaissable, assure les dessins. Son trait énergique, souvent anguleux, mêle réalisme et expressivité avec une grande maîtrise du clair-obscur. Avant Predator, j’avais déjà remarqué Walker grâce à ses travaux pour Magic the Gathering et Warhammer 40K, deux univers sombres et épiques qui lui ont permis de peaufiner son sens du détail et de la tension visuelle.

En 2023, Predator (Tome 1) : Le jour du chasseur est publié en France par Panini Comics. Ce volume regroupe l’intégralité des six numéros américains (Predator : Day of the Hunter #1 à #6). L’édition permet enfin au public francophone de découvrir cette nouvelle itération du mythe Predator dans une version complète et cohérente, accompagnée d’une traduction fidèle et d’un soin éditorial.

Le récit s’ouvre sur une scène qui aurait pu être puissante, mais qui sonne totalement creuse : la décapitation d’un Predator dès la première page. Et pas par un autre Predator, non, par une humaine affublée d’une armure de chasseur extra-terrestre. En quelques cases, le mythe s’effondre. Le chasseur ultime, symbole de la sauvagerie et de la supériorité technologique, est ici réduit à une simple victime. On cherche le frisson, la peur, le respect presque religieux que suscitait autrefois cette créature… Mais rien. Cette entrée en matière trahit une volonté maladroite de renverser les codes, sans comprendre ce qui rendait le Predator fascinant. Une désacralisation totale de la créature. Ça partait mal, et effectivement, la suite ne redressera jamais la barre.

L’héroïne, Theta, incarne le cœur du récit. Son objectif : retrouver un Predator à trois mandibules, celui qui a massacré ses parents lorsqu’elle était enfant. Quinze ans de traque, de survie, de haine pure. Sur le papier, l’idée est forte : une humaine obsédée par sa vengeance, miroir inversé du chasseur. Mais très vite, le scénario dérape dans l’excès. Theta aurait déjà tué vingt-six Predators. Vingt-six ! Ce chiffre grotesque annihile toute crédibilité. Comment une simple humaine, aussi entraînée soit-elle, peut-elle anéantir autant de créatures censées être les prédateurs les plus redoutables de la galaxie ? En voulant créer une héroïne invincible, le récit vide le Predator de toute sa dangerosité.

Le concept narratif repose sur un jeu de miroirs : la proie devient chasseuse, puis inversement. À plusieurs reprises, Theta traque un Predator avant de se retrouver à son tour piégée. Sur le papier, c’est une mécanique classique mais efficace, celle du cycle de la chasse, presque mythologique dans cette franchise. Malheureusement, dans l’exécution, tout semble mécanique. Les renversements manquent de tension, les affrontements de sens. Là où l’on espérait un duel de volontés, une montée dramatique vers une confrontation inévitable, on obtient une succession d’escarmouches sans enjeu. La vengeance de Theta, pourtant au cœur du récit, finit par paraître vide.

Le scénario souffre d’un enchaînement de situations incohérentes et mal amenées. Un exemple frappant : Theta, sur le point d’être tuée par un Predator, est sauvée in extremis par des soldats qui abattent la créature en quelques rafales. Plus tard, ces mêmes soldats sont impuissants face à un autre Predator. Pourtant, ils viennent d’en détruire un ! Et n’oublions pas : Theta en a éliminé vingt-six. Comment expliquer cette incompétence soudaine ? Le récit se tire lui-même une balle dans le pied en trahissant ses propres règles. Cette écriture bancale empêche toute immersion. On ne ressent ni la peur, ni la tension, ni même la cohérence interne d’un univers pourtant bien établi.

Le récit s’étend sur quinze ans de traque, mais paradoxalement, on a l’impression que la galaxie tient dans un mouchoir de poche. Les rencontres se font par hasard, les planètes se ressemblent toutes, et aucune ne laisse une impression durable. L’exploration spatiale, pourtant promesse d’émerveillement et de diversité, devient ici décor de fond sans âme. Même les planches censées illustrer de nouveaux mondes paraissent vides, génériques, sans relief. Ce qui aurait pu être une odyssée dans l’espace se réduit à un road trip sans inspiration.

Le combat final, censé conclure quinze ans de haine et de survie, arrive comme une formalité. Expédié en quelques cases, il manque cruellement de mise en scène. Pire encore : la résolution repose sur l’intervention d’un personnage secondaire apparu dans le dernier numéro, ce qui ôte toute puissance dramatique à la vengeance de Theta. Et lorsque, dans les dernières pages, l’héroïne déclare vouloir éradiquer tous les Predators, on ne ressent ni excitation ni curiosité. Juste de la lassitude. L’idée d’enchaîner sur une suite paraît presque absurde, tant le récit ne parvient jamais à justifier son existence.

J’aime profondément le travail de Kev Walker, mais ici, force est de constater qu’il n’est pas au niveau de ses précédents projets. Son style, d’ordinaire précis et percutant, semble ici confus et inégal. Certaines cases manquent de lisibilité, notamment cette fameuse case du pied, illisible au point qu’on ne comprend pas ce qu’on regarde. Les Predators, quant à eux, manquent d’aura : ni menaçants, ni majestueux, ils deviennent presque banals. Peut-être est-ce une conséquence du choix narratif de démystifier la créature au profit de Theta, mais cela contribue à rendre l’ensemble encore plus fade.

Malgré tout, je ne peux pas complètement détester ce tome. Parce que j’aime l’univers Predator. J’aime sa mythologie, sa brutalité, son esthétique. Même les films médiocres m’attirent, tant le concept est fort. Alors oui, ce comics est une trahison du mythe. Oui, il affaiblit la créature et s’emmêle dans ses propres incohérences. Mais au fond, il y a cette petite flamme de passion de fan qui refuse de s’éteindre. C’est peut-être ça, le paradoxe : aimer un univers au point de lui pardonner même ses pires erreurs.

Predator (Tome 1) : Le jour du chasseur se voulait une relecture moderne du mythe, centrée sur la vengeance humaine et la déconstruction du chasseur. Mais à force de vouloir inverser les rôles, le récit déséquilibre tout. Le Predator n’est plus qu’un figurant dans sa propre légende, et la nouvelle héroïne n’a ni l’aura ni la profondeur nécessaires pour porter le flambeau. Ed Brisson signe ici un scénario maladroit, creux, qui trahit la tension, la peur et la noblesse sauvage propres à la saga. Même le talent de Kev Walker ne parvient pas à sauver l’ensemble. En somme, un tome frustrant, incohérent, mais révélateur d’une chose : tant qu’il y aura des fans de Predator, il y aura de l’espoir que quelqu’un, un jour, redonne au chasseur son trône perdu.

StevenBen
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Créée

le 4 nov. 2025

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Steven Benard

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