Avec ses couleurs audacieuses, ses silhouettes mystérieuses et son rendu satiné, la couverture des "Pizzlis" est indéniablement réussie. Ce bel objet saura séduire de nombreux bédéphiles dès le premier regard. Le dessin de ce roman graphique surprend par son dépouillement et sa palette graphique limitée mais tranchée, créant une esthétique séduisante parfaitement cohérente avec l'univers urbain et déshumanisé dépeint en début d'œuvre.
Paradoxalement, ce style aux couleurs électriques appliquées par à-plats confère un aspect artificiel qui s'harmonise moins bien avec les paysages naturels occupant les trois quarts de la bande dessinée. Cette dissonance visuelle souligne peut-être involontairement les faiblesses narratives de l'œuvre.
Les thématiques du retour à la nature et de la redécouverte du "vrai sens des choses" sont traitées de manière assez convenue, presque artificielle. La rencontre fortuite qui lance l'intrigue peine à convaincre, et l'introduction d'une vieille Américaine qui pousse les protagonistes à se rendre en Alaska semble factice. On devine aisément une quête de grandiose et des inspirations puisées dans le cinéma et la littérature américaine ("Into the Wild", "Captain Fantastic" ou même "Le Revenant") qui contrastent avec la simplicité et la spontanéité que devrait susciter ce genre de retour aux sources. La nature est aux portes de nos villes, inutile de parcourir des milliers de kilomètres en avion pour cela. Un film comme "Les combattants" l'a bien compris.
Les personnages et situations présentés dans "Les pizzlis" tombent souvent dans le cliché : celui qui est resté contre celle qui est partie (mais qui revient naturellement), le père amérindien alcoolique, l'urbain qui retourne à la vie sauvage et se sent obligé de se retrouver à poil dans les bois pour reconnecter avec son animalité, l'enfant accro à sa console qui finit par découvrir les joies d'une balade en forêt... Autant d'archétypes déjà largement exploités dans d'autres œuvres, souvent avec plus de finesse. L'ultime scène du feu de forêt apparaît également attendue et consensuelle, avec toute la symbolique eschatologique et la glorification de la puissance naturelle qu'un tel final grandiloquent est censé porter – une conclusion prévisible pour un récit qui peine à surprendre.
L'ensemble n'est pas fondamentalement mauvais. Certaines planches demeurent belles et intéressantes, notamment les rêves animaliers psychédéliques où l'on sent que l'auteur s'est fait plaisir. Cependant, de nombreux romans graphiques ont déjà traité ces sujets avec plus de talent et d'originalité. "Les Pizzlis" offre un bon moment de lecture et constitue en soi un bel objet pour bibliophile, mais reste trop convenu sur le fond pour véritablement marquer son lecteur ou apporter un nouveau regard sur ce genre littéraire. Ce récit naturaliste et cet avertissement sur les conséquences du réchauffement climatique s'avère ainsi aussi réchauffé que la planète bleue elle-même.