Des années après tout le monde, je découvre le chef d’œuvre d'Art Spiegelman : la mise en images de l'histoire de Vladek, son père, un juif polonais qui a eu la malchance de passer par Auschwitz. J'ai mis du temps à rentrer dans l'histoire, en raison de dessins naïfs très en-dessous de mes critères de sélection habituels. Et puis une plongée dans les heures sombres de l'Holocauste, il faut bien avouer que cela ne me tentait pas tellement. Mais le 25ème anniversaire de l’œuvre a été l'occasion de l'édition d'une intégrale, alors je me suis lancée. Et, depuis samedi, je me suis enfoncée dans la noirceur de l'âme humaine, petit à petit. J'ai oublié le trait épais et les partis pris artistiques un peu naïfs et j'ai été saisie par l'horreur de cette descente aux enfers d'une famille comme les autres, en but à la vindicte d'une société menée par des ignorants et des barbares. Le livre est épais et il faut du temps pour en venir à bout. Suffisamment de temps pour intégrer la durée invraisemblable du calvaire qu'ont vécu tous ces gens. Autour de Vladek, ils tombent tous, un par un ou en masse, avec la complicité hargneuse des polonais non juifs, dans leur grande majorité. L'étau se resserre implacablement et l'angoisse saisit le lecteur. Il faut faire des pauses pour ne pas s'asphyxier mais, malgré tout, on revient à cette histoire terrifiante, jusqu'à en émerger un peu hagard. Et en colère. Encore moins disposé à excuser les accès de haine aveugle qui parcourent nos actualités. Résolu à ferrailler avec l'intolérance crasse qui colle aux semelles de notre société. Un livre épais, dense, indigeste, salutaire, révoltant et indispensable, quoi.