Nos poils
5.8
Nos poils

Roman graphique de Lili Sohn (2025)

Mmmh, bof bof.


Vous voyez, avec les bouquins de Liv Strömquist, j'avais mentionné, dans mes critiques, le fait qu'on sent que l'auteure est féministe mais qu'elle ne lit pas que des bouquins féministes, qu'elle élargit ses recherches et que le féminisme est finalement un point de vue, mais que du coup elle s'attaque à quelque chose de plus général qu'un problème de femmes, elle nous confronte à une société entière en pleine dérive, hommes et femmes sont concernés. Lili Sohn fait exactement ce que je n'aime pas : elle s'attaque à une problème de femme et en lisant la bd on dirait qu'elle n'a fait que lire quelques bouquins féministes et écouter des podcast féministes. À la fin du livre, j'ai pu constater une bibliographie plus fournie que ce que j'aurais cru... je n'ai pas lu ces références, j'ignore si ce sont 'juste' des oeuvres féministes ou si ça va plus loin. En tous cas on ne ressent pas beaucoup leur influence sur ce livre qui passe plus pour un travail avec un point de vue très personnel et peu alimenté.


Le récit ne semble jamais embrasser pleinement un concept précis, être soit un essai théorique soit une expérience personnelle. Ce n'est pas un essai parce que ça manque de théorie, de références, de sources... d'ailleurs l'auteure se trompe parfois, quand elle dit que se couper les poils accroît la pilosité, après une petite recherche sur le net je trouve confirmation de ce que je pensais déjà : c'est faux. Or, elle insiste pour dire que c'est une rumeur fondée. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'erreurs sur tout le bouquin mais à plusieurs reprises on sent que ce sont ses a priori qui parlent. Elle aborde des techniques, en décrit certaines beaucoup et d'autre à peine. Elle ne mentionne même pas la diversité actuelle dans le monde du porno (et ça c'est un truc récurrent quand on aborde les pornos, on dirait que les femmes sont toutes rasées dans ces vidéos, alors que depuis quelques années on constate qu'il y a de plus en plus d'ouvertures, de kink, de pratiques, de pilosités différentes.


Ce n'est pas non plus une expérience, parce que rien n'est développé et en plus son expérience est quand même assez faible... je comprends bien que ce n'est pas facile de se laisser pousser les poils pour une femme dans notre société, et c'est tout à son honneur de l'avoir avoué. N'empêche que c'est difficile de comprendre pourquoi elle ne l'a pas fait et on en ressort avec l'impression que ce bouquin est vain (pourtant si elle n'a pas osé aller jusqu'au bout, c'est qu'elle a raison, se laisser aller au poil n'est pas simple dans notre société), surtout qu'elle n'a subi aucun retour négatif de gens comme elle le craignait, à part son bouffon de mec (aucune autre moquerie ni de la famille ni d'inconnus les rares fois où elle s'affiche). One ne comprend même pas bien quel voyage initiatique elle a pu vivre, comment elle est ressortie grandie de cette expérience, on a plus l'impression qu'elle veut se convaincre elle-même de cela. Y a bien un mini chapitre consacré aux expériences d'autres gens, mais ça se résume en une accumulation de témoignages de quelques lignes, à nouveau rien de développé et comme elle le souligne elle-même ce groupe manque de diversité (un peu comme si vous demandiez à une bande de nazis ce qu'ils pensent des rebeux, y aura pas vraiment de surprise dans les réponses)... c'est assez faible. On reste donc grandement sur sa faim, là où il aurait été intéressant de découvrir son ressenti seule ou en public, on n'a droit à qu'à des a priori, quelques émotions confuses, mais rien de très développé.


Le poil, ce n'est pas qu'une affaire de femme. Je suis d'accord pour qu'on embrasse le sujet d'nu point de vue strictement féminin parce qu'il y a beaucoup à dire. Mais ici l'auteure en dit si peu, et elle semble si indécise sur ce qu'elle va raconter... quand elle décide d'éjecter son mec avec violence, c'est un peu choquant. Peut-être bien que son mec aurait dit une grosse connerie... mais justement ça aurait enrichi son propos. Peut-être qu'il aurait dit un truc censé, pareil. Ou peut-être qu'il se serait réapproprié une problématique qui fait souffrir plus d'homme que de femmes. Mais elle, elle le remballe estimant qu'il n'aura rien d'intéressant à dire. Elle ne l'écoute pas. C'est triste. Pourtant, le poil crée des complexes chez tout le monde. Les hommes aussi doivent suivre les standards car autant on accepte le poil sur le torse, autant le poil sur le dos est considéré comme dégueulasse... et puis que dire des hommes qui se laissent manipuler par les médias pour un pubis net et sans poil ? Je n'ai vraiment pas compris cette réaction, cette façon d'expédier quelque chose qui aurait pu nourrir son récit. Ou alors il aurait fallu ne jamais inclure le copain.


L'on regrettera aussi que le lien entre le poil et le patriarcat qui lui semble si logique ne soit pas plus explicité pour les autres moins au fait. Son rapide historique ne suffit pas à tout expliquer. Surtout que là aussi on constate des imprécisions ou des erreurs. On sent aussi qu'elle veut donner des conseils mais ne pas trop choquer. En fait... on dirait le travail d'une influenceuse. Elle part de sa propre expérience pour donner des conseils de vie aux gens amis en restant gentille et bienveillante donc au final l'important c'est de se sentir BIEN. Et là ça devient vraiment bizarre, on lit le livre pour découvrir une expérience ou au moins un essai sur les poils dans notre société, pas pour nous dire qu'on peut suivre son exemple ou pas... tout cet aspect bien-être n'a absolument rien à faire surtout avec autant de maladresses. Et il est amusant de lire les récits de Liv Stromquist pour remarquer que Lily Sohn coche vraiment beaucoup de cases de 'influenceuse qui se sent bien à vouloir donner des conseils de vie qui ne sont finalement adaptés à personne d'autre qu'elle'.


Il y a un côté répétitif aussi, parfois on découvre un mini chapitre qu'on a l'impression d'avoir déjà lu 20 pages plus tôt, comme si le bouquin avait été écrit comme un journal intime, avec répétitions, sans s'encombrer d'une narration plus fluide et pertinente. Le passage d'un chapitre à l'autre a parfois l'air assez aléatoire, ce qui peut rendre la lecture confuse, notamment sur la fin, où je ne comprenais pas ce qu'il se passait, si c'était un flashback ou pas vu que tout d'un coup, on nous la montre en train de se raser pour aller à une fête comme si tout était normal, alors qu'elle est censée être dans l'optique de ne pas se raser. Certes elle ne se rase pas tout, mais quand même, ce début de chapitre est bizarre à appréhender.


Graphiquement c'est pas top. Je peux apprécier le dessin naïf, mais ici la bible graphique repose sur un post it : personnage de face tout le temps et pas de décors. Les pages se ressemblent toutes et pourraient être interchangeables. Je ne demandais pas un travail virtuose et vu ce qu'elle fait par moment (redessiner des tableaux ou contorsionner ses personnages pour les rendre moins stoïques), elle est capable de délivrer quelque chose de bien. Le jeu de couleur est ce qu'il reste de ludique et varié. L'on a droit aussi à des détournements... d'horribles détournements. Je suis friand de ce genre de chose mais ici, il n'y a absolument rien de drôle dans ses dialogues, aucune surprise par rapport à l'image 'volée' ; en plus ce n'est pas constant, on en a moins à la fin de l'album. L'auteur ajoute aussi quelques photos d'elle... je n'ai pas trop compris, si au moins ça permettait de voir sa pilosité mais non rien... et en plus ce n'est pas systématique.


Bref, le bouquin n'est pas complétement foireux, il se laisse lire, le sujet est intéressant et l'auteure donne quelques infos intéressantes, mais tout cela manque de jusqu'au boutisme que ce soit pour rendre compte d'une expérience personnelle ou pour dresser un constat sociétal.


PS : je me permettrai d'ajouter ma pierre à l'édifice : je suis extrêmement poilu, même en étant un homme ça me gêne d'avoir des poils dans le dos, je me souviens que des membres de ma famille m'appelaient la mouche quand j'étais gosse... ma compagne insiste régulièrement pour que je rase tout. Malgré cela je ne rase qu'une fois par an et j'essaie d'assumer le reste de l'année. Je n'ai pas eu d'autres moqueries que celles de ma famille et quelques plaisantins en piscine quand j'étais plus jeune... donc je peux comprendre que même sans recevoir beaucoup de critique l'auteure ait du mal à se laisser aller aux poils, surtout en tant que femme. Mais comme elle développe assez peu son ressenti, le poids du regard des autres, le complexe de l'image que l'on renvoie aux autres, je ne suis pas parvenu à m'identifier à ses problèmes pourtant fort proches des miens. Et la raison pour laquelle je ne me rase pas plus, c'est pour ne pas empirer mon complexe, car que faire dès lors si je rate une session de rasage et que ça se remarque ? J'ai la même chose pour mes cheveux que je perds, j'ai pensé à trouver une solution, c'est aussi une question de pression sociale (si vous saviez le nombre de gens qui me demandent si je connais la Turquie...), mais j'essaie d'assumer ma tronche (je me réconforte avec Katerine P.). Pour en revenir aux poils, je coupe les poils pubiens et ceux sous les aisselles ; ça peut paraître bizarre, mais les dessous de bras c'est pour puer moins vu que je mets peu ou pas de déo, et pour la bite, c'est pour faciliter le sexe oral on va dire et puis pour rendre ma petite bite plus visible. Voilà.



Fatpooper
5
Écrit par

Créée

le 25 juin 2025

Critique lue 26 fois

2 j'aime

Fatpooper

Écrit par

Critique lue 26 fois

2

D'autres avis sur Nos poils

Nos poils
EricDebarnot
7

Au poil !

Les plus âgés d’entre nous se souviennent certainement que, au XXème siècle, hormis la question du rasage des aisselles féminines, qui était associé dans le bon sens populaire, à une question...

le 25 mars 2025

Du même critique

Les 8 Salopards
Fatpooper
5

Django in White Hell

Quand je me lance dans un film de plus de 2h20 sans compter le générique de fin, je crains de subir le syndrome de Stockholm cinématographique. En effet, lorsqu'un réalisateur retient en otage son...

le 3 janv. 2016

124 j'aime

35

Strip-Tease
Fatpooper
10

Parfois je ris, mais j'ai envie de pleurer

Quand j'étais gosse, je me souviens que je tombais souvent sur l'émission. Enfin au moins une fois par semaine. Sauf que j'étais p'tit et je m'imaginais une série de docu chiants et misérabilistes...

le 22 févr. 2014

123 j'aime

45

Taxi Driver
Fatpooper
5

Critique de Taxi Driver par Fatpooper

La première fois que j'ai vu ce film, j'avais 17ans et je n'avais pas accroché. C'était trop lent et surtout j'étais déçu que le mowhak de Travis n'apparaisse que 10 mn avant la fin. J'avoue...

le 16 janv. 2011

122 j'aime

57