Ça y est, c’est bon, j’ai lu du Hiroshi Hirata. Ce qui est fait n’est plus à faire.


Des années qu’on me serine avec ça. Je n’y allais pourtant pas à reculons, à la lecture ; loin de là. Le dessin avait l’air sublime, le sujet captivant ; considérant ce que je brasse de lisier, une incursion dans le répertoire de monsieur Hirata avait eu tous les attraits d’une étape de sinécure au milieu de l’Enfer.


Seulement, pour critiquer autant de ces mangas, car je n’achète que ce qui me plaît après l’avoir lu en ligne, il me faut qu’ils soient à ma disposition sur les Internets. Or, les anglophones – maudits soient ces sales bêtes – n’ont jamais trouvé d’attrait à ce qu’a pu un jour nous faire parvenir Hiroshi Hirata. En tout cas, dès lors où ça traînait sur plus d’un tome. Je m’en allais donc sur SushiScan, terre de refuge dès lors où je ne trouvais pas mon bonheur sur les plateformes dédiées. Et, là aussi, vaches maigres. Maigres et faméliques ; y’avait rien.


Restait Japscan. Vous connaissez pas, vous autres, « Japscan ». Moi je l’ai vu de près. Y’a fallu que je me dépêtre avec un site où les bloqueurs de publicité sont proscrits, inaccessible sur Brave, et où la réclame y est CONSTANTE et harassante. Vous cliquez pour tourner la page, et vous surgit une donzelle, à poil, ou AliExpress dans un nouvel onglet. Peut-être un jour les deux, allez savoir.


Six volumes – c’est ce que compte Satsuma – ça chiffre à plus de mille-deux-cents pages. Ça en fait, des emplettes et des paires de nichons impromptus sur l’écran. On m’assurait, dans les pop-up en haut à droite, qu’il y avait des salopes en chaleur partout dans mon village. J’étais cerné  ! Comprenez mes réticences, dans ces conditions, à me familiariser avec l’Honneur des Samouraïs quand mon écran se saturait chaque fois de ce que la toile avait enveloppé de plus vil.

Et est-ce que ça en valait la chandelle au moins ? Car c’était encore ça ma hantise, avant de me lancer dans ce périple improbable ; que ce que je lus ici ne fut pas à même de me plaire.


Vous le saurez très vite, et peut-être vous en réjouirez-vous à raison, l’œuvre qui nous concerne nous provient droit de 1977. Le dessin signe son temps, et qui n’y verrait pas la trace d’un Kazuo Koike serait sommé de bien vouloir ouvrir ses yeux. C’en est si flagrant et indéniable qu’il aura fallu, par acquis de conscience, que je vérifie si Koike était bien étranger à ce que j’ai lu ici. Il n’en était rien, aussi retournais-je à ma saine lecture, immédiatement maculé de sangs et viscères quand survînt le tout premier chapitre. Gardons à l’esprit et à l’œil le fait que si les traits ont des ressemblances, celui d’Hirata est autrement plus développé, nous révélant presque sur les planches, des visages qu’on penserait moulés dans le papier. Le sens du détail est ahurissant pour l’époque et on se délecte à s’en savoir le spectateur. La virilité des visage qu’on burine au crayon feraient en tout cas presque passer les esquisses de Tetsuo Hara pour un défilé de précieuses.


C’est à ce point là, oui.


L’honneur, ici, embaume la charogne. Point de gloire en vue, le sabre est alors moins sujet au franc duel qu’à la charcuterie intensive. Sans nourrir de fantasme sur l’époque qu’il s’en vient chroniquer, Hiroshi Hirata évacue ce que la légende du samouraï a de romancé pour nous le délivrer sans filtre et sans rature. Les Ghazis avaient leur Coran, les Croisés les Évangiles et les Samouraï le Bushidô. Tous ne dégoisaient cependant leur gospel qu’en vain prétexte afin d’avoir à brandir et abattre le sabre ; le restant n’était alors que littérature. C’est avec cette optique bien en vue, loin des poncifs et des lieux-communs erronés, que l’auteur aura rapporté le Samouraï pour ce qu’il était : un guerrier sanguinaire sur lequel on aura jeté un verni politique et philosophique en caution de ses massacres.


Sans non plus s’en tenir à une savante déconstruction du Bushidô, sans encenser ni dénoncer, Hiroshi Hirata nous rapporte au mieux une idée de la guerre, une dont il s’emploie à nous en faire mention comme s’il se fut agi d’une réalité. Au milieu des giclées et des grimaces, il y a des accès de naturalisme dans le récit de Satsuma.


Et qu’on ne s’y trompe pas ; l’extrême brutalité de la guerre rapportée en ces pages, si elle est un brin stylisée dans un trait venu faire honneur à sa sauvagerie guerrière – mais un brin seulement – n’exagère pas l’horreur du massacre. Qui agite son sabre ampute, lacère et transperce la chair molle et grasse enveloppée dans la ses carcans d’acier. Ça n’en fait jamais de trop, et c’est pour ça qu’on écarquillera davantage les yeux devant ce qui nous est présenté. La voilà, la guerre, livrée à nous sans paillettes ni édulcorants. Kingdom et ses œuvres martiales ne fait alors figure que de comique troupier en comparaison.


Voilà en tout cas une œuvre qui sait comment capter l’attention d’un lectorat qui, méfiant, serait venu l’effeuiller du bout des doigts. Les premières pages, sanglantes et confuses, nous basculent dans la bataille comme si nous nous y étions perdus. Le Hiemontori était alors une coutume for pittoresque dont vous ferez la connaissance avec un semblant de dépit. J’accueillis ce gain de culture avec joie en ce qui me concerne.


C’est en tout cas une certaine idée du droit de la guerre. Mais qui suis-je pour juger des coutumes d’autrui ? Un lecteur qui se régale, voilà qui.


Je le subodorais et j’en eus rapidement la confirmation, L’Honneur des Samouraï est remarquablement documenté. La pauvreté de Satsuma, la spoliation institutionnalisé, les rapports sociaux, le dénuement, l’impunité et l’arrogance des Samouraïs ; c’est bien simple, on y est. Point de beau discours, rien que la réalité brute et brutale d’un système social franchement dysfonctionnel.


L’orchestration des plans, la scénographie, si elle nous apparaît naturelle, ne donne cette impression que parce qu’elle est superbement travaillée. Rien que la scène du pont, point de départ de l’histoire de Sakon, est criante de talent dans ce qu’elle a à nous conter de leur situation, sans qu’un mot pourtant n’ait à être prononcé au milieu d’une horreur muette et banale.

Et le génie du paneling ne s’arrête pas à ça alors que les plans sont autant de fresques venues pétrir de consistance un récit que l’auteur a massé de son crayon pour le raffermir en l’endurcir. Y’aurait un beau film à faire en partant de ces seules planches pour peu qu’on les suivit à la lettre sur la caméra.


La qualité de l ‘édition française – pour ce qui est de la typographie – est excellente. Beaucoup de bulles sont saturées de hurlements enragés dont la police d’écriture y apparaît calligraphiée. C’est dire si on a soigné l’ouvrage. C’est dire si un savoir-faire consciencieux s’est perdu…


L’œuvre est taillée à la mesure de mon esprit, c’est vous dire si j’y ai souscrit sans coup férir. Le Bushidô – ou du moins la doctrine Nise – est ici écorné de page en page. À l’obéissance aveugle, aux rites pudibonds et au culte d’un esprit savamment étriqué, les personnages principaux, contestataires, en appellent à l’esprit critique et à la remise en question pour assainir le dogme. Hiroshi Hirata plaide cependant un anachronisme alors qu’il distille ici la pensée hellénique dans la soupe au Miso ; ça n’a trop rien à y faire, mais voilà qui lui donne bien plus de goût.


Certaines planches sont divines, Gondô, porté par Jûzaburô dans un cercueil brisé nous fait exploser au nez une intensité qui n’a pas à s’embarrasser d’effets de style pour nous souffler. Jugez-en par vous-même et oubliez ce que j’en ai dit plus tôt, car même le cinéma le mieux fignolé techniquement ne saurait traduire une telle énergie.


Bien assez tôt, la politique s’en mêle. Plutôt qu’une histoire de guerre – le récit étant bien ancré dans son historiographie – il est question d’une saine manigance. Le régime Tokugawa, à présent maître incontesté du Japon, impose au Daimyô de Shimazu de fournir hommes et denrées pour des travaux fluviaux, sachant pertinemment que la mesure ruinerait les caisses du fief et qu’un refus de leur part leur vaudrait une accusation de sédition, entraînant conséquemment leur anéantissement par la guerre qui s’ensuivrait.

Les roublardises des Tokugawa pour ruiner graduellement les Shimazu, à force de mariages, est vraiment passionnant. Ça, c’est de l’Histoire comme on l’aime, loin de l’écume de choses pour fouiller jusque dans les abysses des machinations diplomatiques d’alors.


Une narration protéiforme parvient à nous surprendre constamment dans la manière dont elle relate les événements. Hiroshi Hirata aborde ainsi son œuvre par une diversité d’angles, pour la plupart insoupçonnés, afin de nous la faire découvrir par dix facettes au moins. On est sans cesse déphasé, à ne pas vraiment tirer de personnage principal de cette histoire aux multiples remous, coulant cependant dans un son lit sans jamais déborder ou s’assécher. Hirata a ainsi dompté son récit et pour lui apprendre bien des tours afin de nous ébahir ; et avec quel brio. L’épisode de la famille Tsugo, les récits de la famille de Chôbei, l’implication de Heïnaï, tout cela était en tout cas le bienvenu pour épaissir le cuir d’un récit pourtant déjà bien robuste.


On ne retrouve jamais les mêmes personnages d’un chapitre à l’autre, excepté en de rares occurrences. Ce parti pris, original, car s’inscrivant dans une intrigue suivie, démontre ses limites à compter du troisième volume. Ne pas avoir de repère stable, qu’aucune permanence ou presque ne permette de s’y référer, entame conséquemment la qualité du récit dont on se sent de s’y soustraire. En dépit d’une trame étalée sur le long cours, un aspect épisodique des événements, à sans cesse changer d’angle de vue, perturbe la perception qu’on en a et l’intérêt qu’on en retire. Par ce procédé, l’œuvre se distance de nous en ne nous y conviant pas tellement. Des protagonistes récurrents, ça n’a l’air de rien, à force qu’on les tînt pour acquis, mais une fois ceux-ci absents trop longtemps ; nous perdons toute prise sur l’œuvre bien que son scénario nous ait conquis.

Dès qu’un personnage tient trois chapitres, il commet Seppuku. C’en est quasiment un gag rituel et le comique de répétition a ici un quelque chose d’usant et de décevant. D’autant que cela est toujours grandiloquent et pompeux ; droit dans l’antithèse d’un Shigurui.


Aussi accueillais-je le retour Jûzaburô avec une joie certaine… pour finalement ne le voir que jouer les chevaliers blancs. Il est un perpétuel redresseur de torts qui, cependant, s’évacuera de nouveau de la trame après deux chapitres.


C’est usant.


Les personnages passent – et surtout trépassent – les épisodes se succèdent et, le capital sympathie qu’on éprouva envers les Satsuma se dilapida en une série chapitres qui, s’ils sont denses et complets, ne nous suggèrent plus le moindre attrait. Je soupirais de lire des dialogues de personnages dont j’ignorais tout, me sentant un peu plus étranger à l’intrigue dès lors où elle faisait sans cesse peau neuve dans un même cadre.


Le volet politique s’étiole, la confrontation de Sakon et Jûzaburô est à jeter aux orties  ; on suit la trajectoire d’une chute avec son lot de drames où y vocifèrent tout un tas d’inconnus au milieu de quinze seppukus par chapitre. On ne peut finalement plus lire l’œuvre que d’un regard foncièrement distancé. Pour terminer, nous aurons une fin qui ne conclut rien ou pas grand-chose ponctué d’un épilogue dispensable venu prolonger l’agonie d’une dizaine de pages.


Hiroshi Hirata est un auteur qui narrait comme cela se faisait en son temps. Passé la fraîcheur de ce qu’on découvre, le rendu apparaît vite défraîchi. Des promesses, bien que tues, nous furent adressées dans le premier tome, quant à ce qu’on trouverait par la suite. Sakon, la violence et l’injustice d’un conflit politique larvé ; tout ça ne demandait qu’à être exploité et fignolé jusqu’à l’apothéose. S’y substituera un ronron de drames ponctuels, ceux-là venus s’enchaîner sans grande incidence sur une intrigue qui renonça à en être un à compter du troisième tome.

Hiroshi Hirata, c’est vu c’est lu ; et bien que tout ne fut pas à jeter – loin s’en faut – on ne m’y reprendra plus.

Josselin-B
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le 4 oct. 2025

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Josselin Bigaut

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