Soul Eater
6.4
Soul Eater

Manga de Atsushi Ōkubo (2003)

À ce stade, les critiques de Shônen-baston, je pourrais les rédiger les yeux fermés. C'est même à se demander pourquoi je m'embarrasse encore à lire les mangas dont je fais la rétrospective. C'est l'histoire de types qui combattent des méchants avec des sourires démoniaques qui veulent dominer le monde sans trop qu'on sache pourquoi. Ils leur cassent la margoulette puis y'a encore un type plus fort qui pointe le bout de son nez et là.... et là en général je suis proche de la rupture d'anévrisme.
Qu'on s'en tienne à un certain classicisme, je ne m'en plains pas. L'orthodoxie véritable et le respect des canons d'un genre qu'on aborde, sans nécessairement me laisser admiratif, je reconnais ce que ça a de louable et m'incline devant le travail fourni. Mais faut se renouveler à terme. Ça urge à force.
Et le moment, il est venu. Venu et advenu. Ça fait des années que je lis la même chose. Les récurrences sont parfois si patentes qu'il me faut vérifier la jaquette de ce que je lis afin d'être parfaitement sûr que je ne suis pas en train de reprendre la lecture d'un Shônen précédemment abordé. Y'a plus de signature propre à un auteur depuis des années. La patte d'un mangaka, on a du mal à la déceler quand il écrit avec un calque. Notez que la remarque vaut autant pour un Atsushi Okubo que cela n'aurait pu échoir pour les œuvres signées le duo Posuka Demizu/Kaiu Shirai, Katsura Hoshino, Hajime Isayama, Sui Ishida, Nobuhiro Watsuki, Masami Kurumada, Hiromu Arakawa (dans une moindre mesure), entre autres. Bien d'autres.


Ce n'est pas tant le manque d'originalité que je réprouve (bien que...) mais l'absence d'efforts apparents fournis pour ne serait-ce que seulement laisser entendre que le matériau a au moins été travaillé, qu'il y a eu une volonté réelle à ce qu'il soit mis-en-scène. Or, un regard scrupuleux et averti ne pourra pas s'empêcher de voir les traits mal assurés d'un auteur qui cherche le succès éditorial à tout prix, ce prix étant généralement cher payé car offrant systématiquement la crédibilité de l'œuvre en holocauste. Il y a tant d'auteurs à travers le monde qui rêvent de partager ce qu'ils ont d'original et nouveau à offrir pour un autre motif que de simplement vivre de leur plume. Sachant cela, comment peut-on alors rester de marbre lorsque Soul Eater passe sous nos yeux ? Soul Eater n'est d'ailleurs pas Soul Eater ; car comme nombre des créations analogues à cette dernière, il est le «Shônen aux caractéristiques archétypiques lambda numéro X+1». Celui en plus. Celui de trop. J'en ferai d'ailleurs une liste sur SensCritique afin que chacun sache à quoi s'en tenir les concernant.


L'entrée en matière ne fait déjà clairement pas envie. Les dessins sont infects. Jamais je n'aurais cru qu'un dessinateur publié puisse se montrer maladroit dans son trait au point que les sentiments retranscrits sur le faciès des personnages soient en parfaite inadéquation avec ce qu'il visent à exprimer. Ça s'arrange passé le troisième volume. Mais encore faut-il tenir jusque là.


Tenir, oui. Car les symptômes habituels du genre Shônen sont autant de vagues venues s'écraser sur ma fragile embarcation qu'est ma patience, celle qui navigue et pourfend la trajectoire de ma lecture laborieuse. Symptôme ; le mot n'est pas exagéré car les canons constitutifs du Shônen sont ici abusés jusqu'à ce que l'emploi du procédé en devienne maladif.


L'Ecchi par exemple. Il y en aurait des jeux de mots appropriés à faire rien qu'avec cela. Depuis les facétie Go Nagaiesques, il nous faut faire avec. C'est un trait du genre, je ne le récuse pas et me contente simplement de le déplorer. Qu'il soit employé parfois, j'y survivrai mais il y a une juste proportion à respecter. La mort aux rats dans le café, il faut la servir à la petite cuillère pour ne pas faire expirer sa clientèle. Mais ici, le besoin de racolage est tel que les premiers chapitres fourmillent de cases bêtement licencieuses qui s'exposent pour la seule finalité de crier «Nichons» au visage d'un lectorat visiblement très mal considéré.


N'ayant jamais versé dans la pudibonderie - je suis Français - je n'ai pourtant jamais été amateur des corps partiellement dénudés offerts gratuitement au lecteur que j'étais pour espérer susciter chez moi une forme de sympathie. L'Ecchi est d'autant plus pervers qu'il n'a en réalité pas les moyens de satisfaire qui que ce soit. De ce qui est montré, il y en a de trop pour un honnête homme et pas assez pour un pervers. Autant ne pas faire de mécontents et s'épargner le graveleux à pas cher. Que des personnages féminins et suaves puissent exister, je ne le conteste pas mais délivrés comme ça, c'est d'une immaturité et d'un amateurisme crasse.
Eh puis tout auteur ayant ne serait-ce qu'une vague connaissance de l'esprit humain sait que le mystère séduit bien davantage que l'ostentation. On a plus à gagner à susciter plutôt qu'à dévoiler d'emblée. Même sur le plan de l'érotisme, l'Ecchi ne vaut rien. Encore moins quand il est employé abusivement comme aux débuts de Soul Eater.
Aux débuts, oui car - et c'est heureux - le procédé sera laissé à l'abandon par la suite. Preuve s'il en fallait une que la démarche n'était qu'une tactique honteuse pour s'agglomérer un public masculin à peu de frais. Peu de frais qui coûtent pourtant cher à Okubo car, en cédant à la facilité comme il l'a fait, il a méchamment écorné l'image de son œuvre. La première impression, ça ne se néglige pas. Pourtant, Atsuchi Okubo a tout fait pour la rater et présenter Soul Eater comme ce qu'il ne serait pas par la suite simplement pour glaner la reconnaissance de la masse, celle qui, par ses très faibles exigences, tire immanquablement le niveau plus bas que terre.


Oui, c'est du mépris, du snobisme mais c'est aussi un constat factuel et désolant. Ceux-là, constituant la vaste majorité du lectorat, seraient-ils capable de dire «Non» quand on les séduit avec peu que les auteurs feraient précisément plus d'efforts afin de mieux les contenter. Le secteur éditorial du manga et plus particulièrement du Shônen est un marché. En cherchant à capter la richesse du plus grand nombre, la masse plombe inexorablement la qualité artistique des œuvres à paraître car celles-ci se mettant à leur niveau pour leur convenir. Soul Eater correspond en tous points à cette attitude. C'est autrement plus facile de proposer la même pitance en boucle à une faune qui la mange sans lever le groin que de prendre le risque de les sortir de leur zone de confort et leur offrir de la nouveauté.


Et la formule Shônen ne s'arrête pas à ce premier symptôme ; les autres ne tardent pas à suivre le plus naturellement du monde. Psyché des personnages modélisée selon les critères de ce qui se fait - c'est à dire, réduite à la portion congrue - des affrontements n'ayant rien de palpitant ni même d'attractif sur le plan du dessin, l'antienne du démon intérieur chez le personnage principal et surtout un univers faussement excentrique qui n'est qu'un pot-pourris où se retrouvent déversés pêle-mêle des références populaire de l'horreur européen auquel s'ajoute un système «magique». Système dont les tenants et aboutissants ne seront esquissés que du bout de la plume sans que cohérence il n'y ait par rapport aux canons institués.
Avec Dragon Ball, les modalités de l'obtention des pouvoirs surnaturels ne sont pas réellement abordés, l'affaire tient debout par la technique du «Ta gueule, c'est magique». Néanmoins, à compter de l'instant où un personnage effectue une technique, on considère que les autres peuvent accomplir la même ou, en tout cas, une lui étant similaire. Avec Soul Eater, on ne sait pas à quoi s'en tenir d'un personnage à un autre. Rien n'est pensé. La résonance nous est donnée à l'arrachée sans jamais être approfondie. Et je ne parle pas de la myriade des autres pouvoirs incombant aux antagonistes.


Le diagnostique ne souffre d'aucune contradiction possible : tout ce qui apparaît prend les allures funestes d'un Shônen qui n'a rien à raconter tout en continuant de rechercher désespérément le succès.


Sur le plan scénaristique, il ne faut évidemment pas avoir faim. Toutefois, il faut reconnaître à l'auteur la volonté de très vite mettre le pied à l'étrier. Nulle question de se confondre dans quelques dizaines de petites aventures le temps de situer le contexte ; on aborde directement l'intrigue globale qui sera celle liant le premier au dernier tome sans discontinuer. Une Histoire globale, pas une succession d'arcs aux liens difficilement perceptibles entre chacun. Ma lecture n'en fut que d'autant plus fluide.
C'est un procédé narratif que j'apprécie et remercie gracieusement l'auteur d'y avoir eu recours. C'est d'autant plus frustrant de constater qu'Okubo sait comment raconter une Histoire sans pour autant n'avoir grand chose à écrire. Ce scénario fut-il plus conséquent et digne d'intérêt que l'œuvre aurait vraiment gagné à être lue.
Autre élément digne de louanges - car même une horloge cassée donne la bonne heure deux fois par jour - la constitution du premier groupe d'antagonistes sous la férule de Médusa. Là où bon nombre, si ce n'est la quasi-intégralité les Shônens nous dévoilent un groupe d'ennemis pré-constitué, ici, le recrutement des alliés de Médusa est pareil à celui que pourrait opérer un protagoniste principal. L'idée m'a pas mal plu même si elle aurait gagné à être mieux exploitée. Mais ne boudons pas notre plaisir, d'autant moins qu'il est bien rare en cette période de disette.


Au niveau des références - fussent-elles fortuites ou assumées - je ne manque pas de remarquer que Soul Evans se découvre une vocation de pianiste en cours d'intrigue comme l'avait fait Allen Walker dans D. Gray Man. La coïncidence est faible mais je me méfie de certains faisceaux d'indice malheureux.
En revanche, on ne me dira pas que le concept de Shibusen, école créée pour combattre les sorcières, n'a pas été inspiré du Balamb Garden University de Final Fantasy VIII.


La lecture se veut au final un long fleuve tranquille. Tranquille et pollué, ne nous y trompons pas. Les rares antagonistes qui offraient un peu de sel à l'intrigue n'ont plus rien à faire valoir passé la défaite d'Arachné et l'arc de sauvetage d'un personnage principal en la personne de Kid n'augure rien de bon si ce n'est le retour exquis d'Excalibur.
Excalibur dans Soul Eater est une légende plus porteuse encore qu'elle ne l'avait été sous Chrétien de Troyes. Alors qu'on ne manque pas de se noyer dans la médiocrité sur vingt-cinq volumes, un sauveur vous tend une perche - une canne - à laquelle vous raccrocher afin de vous extraire un court instant de votre supplice. Le personnage est irréel. On jurerait qu'il est issu d'un autre manga tant il est bon et bien constitué. Jamais je n'aurais pu m'attendre à un sursaut d'humour aussi violent. Avec le chapitre de l'examen écrit, Soul Eater aura eu l'infini mérite de réussir à me faire rire. Et pas que du bout des lèvres. Ça n'aura pas duré longtemps, mais ce fut précieux.
S'il n'y avait qu'une seule raison de lire Soul Eater - et il n'y en a qu'une - ce serait pour les rares apparitions Excalibur. J'en ricane rien que de me remémorer son court retour dans l'intrigue. Le personnage à lui seul justifie que j'attribue une étoile supplémentaire à la critique comparativement à ce que j'avais d'abord envisagé.


La mort de Médusa aura aussi été une bonne surprise. Pas tant du fait que je ne m'y attendais pas - le personnage comme les autres m'indifférait - mais par le talent démontré dans l'agencement de la mise en scène du chapitre. Talent avec lequel ne renouera jamais Okubo. Une étoile filante qui m'aura fait cligner quelques fois des yeux, me surprenant au milieu d'une lecture qui, tout du long, n'avait suscité chez moi que la somnolence.


Quant à la fin qui, elle, ne mérite aucune balise «spoiler», elle est ce qu'elle sera dans tout Shônen aussi longtemps qu'il ne viendra à l'idée de personne d'un jour redresser la barre.
Entre l'introduction tardive de pléthore de nouveaux personnages - là où Shibusen avait pourtant de quoi gratifier le lecteur de personnalités nombreuses (école oblige) - le syncrétisme - pour ne pas dire le saint crétinisme - final contre l'ennemi Kishin, gentiment resté en retrait tout ce temps d'ici à ce que les protagonistes se dotent des moyens de le contrer... on a bien compris que la chienlit ne bénéficierait d'aucune grâce sur la fin.
Pas de dernière volonté du condamné qui tienne, nous boirons le calice jusqu'à la lie. Le martyre ne se conçoit jamais à moitié et nous aurons droit à la formule Shônen jusqu'aux dernières pages.


Une traversée du désert, c'est long. Il arrive toutefois qu'au détour d'une colline, entre deux cactus, une pépite - infime, certes - vous capte le regard. Votre périple dans le sable n'en devient pas plus agréable au prétexte que vous en ressortirez un peu plus riche, néanmoins, une fois sorti du bourbier, vous en aurez au moins retenu un bon souvenir qui ne vous quittera pas. Il s'en sera fallu de quelques pages à peine avec Excalibur pour que je retienne autre chose de Soul Eater que ses défauts manifestes. Une hirondelle ne fait pas le printemps mais celle-ci m'aura permis d'entrevoir le jour un court instant. Ça ne rattrape rien, mais ça ne s'oublie pas.

Josselin-B
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le 28 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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