Undercurrent
7.6
Undercurrent

Manga de Tetsuya Toyoda (2004)

Ma première histoire courte en manga. Par histoire courte j'entends un manga en un seul volume, un genre à part entière à qui même un classement Senscritique fut accordé. Cette lecture, je ne l'ai pas entamée à contre-cœur mais on ne pourra pas prétendre m'avoir vu trépigner à l'idée de m'y lancer. Le manga, je m'y suis adonné étant jeune car je recherchais des séries étalées sur le temps long. Il y a en principe - et Dieu sait que le principe souffre toujours d'exceptions - davantage de développement des tenants de l'intrigue dans une saga que dans une œuvre sans suite. Toutefois, nous pourrions lire One Piece mille ans encore sans même en retirer une once d'élaboration narrative que l'on pourrait pourtant retrouver à chaque pages d'autres prodiges autrement plus cours.
De Undercurrent, je pensais faire un bien maigre festin ; de quoi rester sur ma faim sans être même vaguement rassasié. En un tome - avec ce tome-ci en l'occurrence - j'aurais mangé chichement mais avec de quoi satisfaire autant le palais que l'estomac.


Un traumatisme se remarque alors que de mauvais souvenirs resurgissent soudainement quand se présente un événement anodin qui, en d'autres circonstances, vous aura fait du mal. À arpenter les Shônens comme je l'ai fait inconséquemment, je ne peux plus voir un onsen sans penser à mal. Et pourtant - bien que timide et craintif - j'aurais fini par me faire une raison : je venais de lire le premier manga dans lequel on nous présentait un onsen sans aucune allusion graveleuse occasionnée par le récit. J'ai eu le sentiment ce jour là de marcher sur une mine anti-personnelle qui n'aurait pas explosé. Qu'un mangaka considère dans son œuvre qu'un bain public serve avant tout à se baigner confine à l'excentricité par les temps qui courent. Des temps qui courent et qui durent depuis bien trop longtemps déjà.


Undercurrent nous aura été servi par des dessins dont je ne trouve à dire d'eux qu'ils furent corrects. Ils ont tout ce qu'il faut où il faut, sont plutôt épurés et ne souffrent d'aucune tare manifeste ou même sommaire, cependant, je n'ai rien vu chez eux qui fut susceptible de les distinguer de la masse. Undercurrent c'est une histoire avant d'être un manga. Le support fut opté par défaut plus que par prédilection, c'est en tout cas mon sentiment à la lecture.


Pour qui m'aura suivi - pauvre de vous - tous savent à quoi s'en tenir me concernant quand la romance - même volatile - plane sur un manga. J'ai comme des réactions. Des symptômes. Mais depuis Bride Stories, j'aurais compris que je ne suis pas tant hostile au principe de la romance dans un manga que de l'immaturité flagrante de son traitement dans les Shôjos et Shônens. Or, c'est un Seinen bien ficelé que j'ai lu ici. La romance ? Elle y est sans y être. C'est d'ailleurs cette subtilité de traitement qui séduira et enjoindra plus facilement à la lecture. La lecture fut donc particulièrement plaisante puisque le propos est intelligemment amené. La romance latente que l'on suppose au premier chapitre est gardée sous le boisseau au profit de l'enquête sur la découverte du mari disparu et ne saurait ainsi mieux ravir le lecteur.


Car si une histoire courte a le défaut de ses qualités en ce sens où elle ne peut pas se payer le luxe de s'appesantir sur les nombreuses composantes de son scénario, elle a - de fait - la qualité de ses défauts. Car en un si court temps, l'histoire a le temps d'être pensée du début à la fin contrairement à ces sagas qui s'engagent vers des horizons dont l'issue n'est qu'un précipice. Undercurrent parle sans balbutier ni se répéter, il connait ses répliques et les assène sans hésitation jusqu'à réciter sa partition sans fausse note. Avoir quelque chose à dire dans un manga, ce n'est déjà pas courant, le dire correctement, c'est presque de la science-fiction.


Hori m'aura séduit comme personnage à la fois atypique et pourtant véritablement humain. Il incarne cette psyché apathique que je n'ai jamais retrouvée dans aucun autre manga tout en personnifiant une individualité tout à fait crédible et ne souffrant que de bien peu de défaillances dans son écriture. Des personnages parfois atypiques - rarement cela dit - mais bien réalistes parsèment le fil d'un court récit. D'autres auteurs, avec des dizaines de volumes à leur actif n'auront pas été capable d'élaborer un seul de leurs personnages non sans les mettre constamment en scène.


La comparaison entre Taniguchi et Tetsuya Toyoda est aussi aisée qu'inévitable. Un mari qui disparaît sans prévenir sa famille de son départ, une enquête sur cette disparition survenant des années plus tard et l'impression de vivre la vie de quelqu'un d'autre et de culpabiliser à cet endroit ; tout cela n'est pas sans rappeler Quartier Lointain. C'en est presque une ré-adaptation. Sublimée d'ailleurs.


La narration nous rapporte subtilement les sinistres raisons du départ du mari au gré de quelques événements où les protagonistes sont amenés à en faire la triste rétrospective. Tout cela est bien écrit et joliment agencé, s'élaborant lentement malgré la brièveté du récit tout en formulant l'œuvre de manière complète, sans oubli aucun. C'en sera d'ailleurs si complet que l'humour trouvera même parfois à surseoir la gravité relative du thème abordé.


Je ne saurais dire finalement s'il fut question d'une histoire courte sans prétention, dramatique, romantique ou mélancolique, mais Undercurrent avait du corps et une âme en supplément. Ça se retrouve rarement dans l'écriture. Il aura été épineux d'en faire la critique alors que l'histoire prend le dessus sur tout et que le tout est déjà bien sympathique en soi sans qu'il n'y ait pourtant tellement plus à en dire à son propos.


Sa conclusion aura été poignante, loin de ce que j'aurais pu en attendre. Il n'y a rien de spectaculaire. Pas d'éclats, pas de cris, par de larmes, juste ce qu'il faut pour écrire une bonne histoire. Le pathos est un édulcorant qui ne manque jamais de m'écœurer et pas une goutte n'aura été versé ici ; les onsens d'Undercurrent sont restés aussi purs que leur histoire. Ils ne m'auront cependant pas laissé le plus émérite des souvenirs en mémoire. Car elle était de courte taille, j'aurais trouvé ses aspirations de courte vue. Ce n'est pas un procès à lui faire que de lui en tenir rigueur, mais le récit nous abandonne trop tôt quand se referme ce premier et dernier tome.

Josselin-B
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le 30 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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