Succéder au Skyfall n’aura pas été une tâche facile pour Sam Mendes, et ça se remarque. Si le blockbuster à quelques centaines de millions de dollars fait référence à de nombreux anciens films de la saga (Vivre et laisser mourir avec le clin d’œil au costume du Baron Samedi dans la première et géniale séquence du film, ou encore cette affiche de la vitre brisée, référence au final d’Au Service secret de Sa Majesté), il n’en est pas pour autant si bon que certains de ses grands-frères.


UN TON QUI CHANGE.


Le réalisateur du 24ème Bond n’a accepté de revenir que sous une seule condition : ne pas faire de Skyfall 2. Même si 007 SPECTRE est la suite directe du film milliardaire, il change tout de même d’univers, en revenant aux bases de la série plus que cinquantenaire.
Le ton froid, obscur, mystérieux et dérangeant que l’on a pu trouver dans James Bond 23 (et qui prenait de plus en plus d’ampleur depuis le premier Craig Casino Royale) est, en un claquement de doigt, parti aux oubliettes ; laissant place à l’humour, l’action, les explosions, les courses-poursuites et les gadgets (un tracker dans le sang, une simple montre qui explose et une Aston Martin…). 007 SPECTRE en deviendrait presque un Mission : Impossible et perdrait tout ce qu’il avait gagné depuis 2006.
L’envie de Mendes de sortir un film plus léger que le précédant a été satisfaite, certes, mais c’est que la lourdeur arrive vite : celle d’un « coucou » de Christoph Waltz dans une séquence où une trop longue partie du temps est destinée à voir le vilain dans l’ombre chuchoter à l’un de ses hommes de main de lui rapprocher le micro. Tout ça pour voir le Drax des Gardiens de la Galaxie exploser les yeux d’un autre inconnu plutôt calmement, pour enchaîner sur une course-poursuite dans les rues de Rome assez plate et attendue. Rien de bien vraiment original.


UN MECHANT ET UNE FIN QUI NE VALENT PAS LE COUP.


Les rumeurs disent que l’Autrichien Franz Oberhauser, le chef de S.P.E.C.T.R.E., serait en réalité l’ultime méchant Blofeld (merci la veste au col Mao), existant déjà sous la forme Charles Gray (Les diamants sont éternels), Telly Savalas (Au Service secret de Sa Majesté) et Donald Pleasance (On ne vit que deux fois).


Même si le film répond à ces fantasmes par un « oui » et par un « je suis l’auteur de toutes vos souffrances », l’Ernst Stavro Blofeld de 007 SPECTRE,


Christoph Waltz n’en est pour autant nullement effrayant. Il est même plutôt ridicule avec son pantalon trop court et ses petits mocassins, dans une séquence de torture qui aurait plutôt eu tendance à effrayer. Le contraste entre méchant d’abord sadique mais qui a l’air finalement plutôt cool ne prend pas, ou du moins pas assez pour faire de Waltz l’antagoniste que l’on nous avait promis. On se retrouve, finalement, avec un personnage fade et sans charisme.
Le film passe vite, et si la première heure est très bonne, malgré Monica Bellucci dont l’interprétation est décevante, faute d’importance dans le scénario, on voit la fin en se demandant réellement si le film va se finir là-dessus ou si les scénaristes (pourtant les mêmes que sur Skyfall) ont exclusivement choisi la facilité, ce que plomberait absolument le ressenti que l’on a sur le film. Effectivement, option numéro deux : ce que l’on voit est vraiment la fin, et c’est vraiment mauvais. Le feu d’artifice qui clôt l’opus précédant ne reprend malheureusement pas, malgré quelques petits effets spéciaux plutôt sympathiques qui sont minimes par rapport au reste du film.


UNE MUSIQUE QUI NE SE RENOUVELLE PAS, POUR COMBLER UN TRAVAIL SONORE MANQUANT.


Outre le « James Bond Theme » mythique repris au début et à la fin du film, Thomas Newman, malgré son nom de famille, ne fait rien de nouveau. Le compositeur a beaucoup travaillé sur la répétition de certaines cacophonies orchestrales pour pouvoir remplir deux heures et demie de film.
D’ailleurs, si l’on retire le générique (très bien fait et qui rappelle graphiquement celui de Skyfall) et sa musique ratée qui ressemble tellement à celle d’Adele qu’il n’aurait pas été étonnant d’entendre un « Let the Skyfall » sortir de la bouche de Sam Smith ; on se retrouve avec deux heures quinze de musique. Un bande-originale trop longue qui remplit le film sûrement pour combler le manque de travail sur le son qui avait pourtant été excellent sur Skyfall. Mis à part les explosions et les voitures, qu’est-ce qu’apporte le film d’un point de vue sonore ?


LE S.P.E.C.T.R.E. PAS ASSEZ DEVELOPPE.


L’enjeu principal du film n’est également pas approfondi. Seule la scène à Rome où des criminels discutent autour d’une gigantesque table, avec des hommes immobiles qui les observent de plus haut, laisse l’organisation prendre le dessus.
A part le fait que beaucoup des anciens méchants de James Bond (du Dr. No à Raoul Silva) aient un lien avec S.P.E.C.T.R.E., rien ne passe ; on n’en sait pas plus, et le placer dans ce film jusqu’à lui donner son titre reste assez exagéré quand on sait que ce Service reste aussi secret après avoir vu le film qu’avant.
Le manque de développement de 007 SPECTRE laisse sans cesse le spectateur sur sa faim, frustré de n’avoir rien compris de plus à S.P.E.C.T.R.E. C’est d’autant plus décevant que ce nom aura fait l’histoire de James Bond à travers les décennies, avec les conflits entre Ian Fleming, Kevin McClory, EON Productions (Albert R. Broccoli), la MGM ou Sony, mais ne trouvera jamais sa place dans cet opus de la saga qui s’en sert comme prétexte pour faire une sorte de pause dans la tension et dans le suspens que Skyfall avait mis en place. 007 SPECTRE donne un coup de mou à James Bond.


LE RAPPORT AUX FEMMES DEPUIS CASINO ROYALE : LEA SEYDOUX ET DANIEL CRAIG, TOUJOURS AUSSI BON(D).


Pourtant, l’homme qui veut faire un cinquième Bond « que pour l’argent » sauve en partie le film par une interprétation qui évolue par rapport à Skyfall.
Le Bond torturé du 23ème opus refait surface d’une autre manière, certes plus détendue, mais qui permet au spectateur de mieux comprendre le rapport qu’il peut entretenir avec les femmes : James Bond Girls ou Ladies.
Dans Skyfall, la relation qu’entretenait déjà Bond avec M (Judi Dench) était particulièrement intéressante. D’autant plus que Raoul Silva semblait avoir déjà entretenu le même style de relation. Comme si M avait été auparavant une « Silva’s Lady »… Une sorte de rapport mère/enfant primordial qui a permis d’endurcir le jeu de Daniel Craig par rapport aux femmes, notamment avec sa nouvelle partenaire de jeu, Léa Seydoux, alias Madeleine Swann.
Les relations de James avec les femmes changent depuis Casino Royale et ont atteint leur paroxysme dans 007 SPECTRE. Dans le film de 2006, dont l’intrigue est très proche du roman, il tombe amoureux de Vesper, puis une fois trahi, il se referme. Il comprend qu’il ne peut plus avoir ce type de relation avec une femme parce que cela la mettrait en danger et lui avec : sa vulnérabilité est là. A la fin, il réalise qu’il ne peut plus s’impliquer émotionnellement, qu’il doit devenir solitaire. Bien entendu, au fond de lui, ce n’est pas forcément ce qu’il souhaite. C’est là que réside son conflit émotionnel profond : d’un film à l’autre, ses relations avec les femmes reflètent sa façon d’y faire face.
L’interprétation de Léa Seydoux, qui par son excellence, sauve également le film en partie, montre bien que le scénario s’attache à cet enjeu du rapport du héros aux femmes. On est quasiment passé, au fil des années, d’une certaine misogynie à un féminisme. Les deux personnages vont bien ensemble et leur relation évolue (de manière assez conventionnelle mais efficace) d’un rapport tendu à une entente et une complicité quasi-parfaite. Les deux sont dépendants l’un de l’autre : elle a besoin de lui pour survivre et lui a besoin d’elle pour atteindre son but, Oberhauser, mais également parce qu’un Bond sans femmes n’en est plus un. Au final, cette facette du film est plutôt un succès.

Pourtant, mis à part ces deux protagonistes, aucun personnage n’est plus fouillé que ça. Q, Moneypenny ont été beaucoup moins exploités que dans Skyfall alors qu’ils faisaient partie intégrante du casting ; le nouveau M, bien qu’interprété par le géant Ralph Fiennes, n’a pas trouvé la place qu’il aurait pu avoir dans le film ; « C », le nouveau chef des Services Secrets est l’antagoniste d’une sous-intrigue inutile, une sorte de « pendant ce temps-là, à Vera Cruz… ».


Madame Sciarra (Monica Bellucci), elle, fait office de George Clooney dans Gravity, une tête d’affiche qui apparaît pendant vingt minutes (ce qui ne veut pas dire qu’elle meure).


En résumé, les deux personnages à retenir sont ceux interprétés par Daniel Craig (heureusement) et par Léa Seydoux (une bonne surprise).


UNE IDENTITE VISUELLE SEDUISANTE.


Puis, si le film n’est pas extraordinaire, la photographie, de Hoyte Van Hoytema, elle, est plutôt bonne. On retiendra surtout la première séquence du film, le pré-générique, qui s’ouvre elle-même sur un gigantesque plan-séquence, pendant la Fête des Morts au Mexique.
Ce plan d’une durée de deux minutes (bien que certains mécanismes ont permis de le couper certains moments) restera dans les annales de James Bond et est sûrement la meilleure séquence pré-générique de toute la saga. La gestion des figurants (et il y en a beaucoup), tous les costumes, l’explosion (effectuée en vrai), la scène d’action parfaitement chorégraphiée dans un hélicoptère en plein vol, au-dessus de la capitale mexicaine, les mouvements de caméra et leur fluidité, la lumière, l’étalonnage et la classe de James Bond (« je n’en ai pas pour longtemps ») sont, en effet, les ingrédients qui font de ce passage un grand moment.
De plus, toute l’ambiance visuelle du film est travaillée, tant par la photographie que par les décors : on retrouve les éléments de l’obscurité de Skyfall, la froideur de l’Autriche avec ses majestueuses montagnes d’une neige blanche immaculée, mais aussi les repères des méchants (le gigantesque QG en plein désert de Franz Oberhauser qui rappelle la grandeur de l’île où s’est réfugié Raoul Silva). Le budget énorme qui a été permis pour la fabrication de ce film a, pour cette partie-là, très bien servi. Le film possède une forte et séduisante identité visuelle, surtout logique par rapport à celle de son prédécesseur.


UNE POST-PRODUCTION COMMERCIALE MAIS EFFICACE.


Enfin, une autre part du budget a servi à réaliser la post-production du film, qui s’avère banale, commerciale, mais qui n’est pas ratée. Elle est même plutôt efficace.
Le film, malgré ses très nombreux défauts, grâce à ses scènes d’actions peu originales (à part celle de l’hélicoptère au début), mais très bien montées, ne nous endort pas. Les effets spéciaux sont plutôt réussis, le montage du film en général est banal mais assez dynamique pour garder le spectateur en haleine.
Le seul petit bémol est la présence de quelques baisses de rythme inutiles, notamment celle du QG de S.P.E.C.T.R.E. à Rome, qui est trop lente pour ce qu’elle est.
Au final, tout est très commercial, sans grande originalité et sans grande création, mais par rapport au reste, c’est moins décevant.


007 SPECTRE est un Bond loin d’être complètement raté, mais loin d’être réussi également. La barre que Sam Mendes a placée en réalisant magistralement Skyfall est très haute. Malheureusement, il n’a pas su garder son rythme. En faisant un film plus léger, beaucoup plus commercial et moins approfondi, il a perdu tout ce qui avait fait marcher son bijou, excepté quelques points comme l’identité visuelle ou l’approfondissement du personnage de James Bond, avec par exemple le rapport qu’il entretient avec les femmes depuis Casino Royale. Le méchant de Waltz, bien que bien interprété, n’aide pas le film et l’enfonce, par son manque de développement à l’écriture. Même chose pour tous les autres personnages, exceptés ceux de Daniel Craig et Léa Seydoux, qui font partie des seules bonnes surprises dans cette immense déception.

Piputyy
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le 1 nov. 2015

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Jules Cales

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