Dernièrement auprès d'un ami je râlais sur le dernier Star Worse en citant par exemple le concept de « ruines propres » que je ne voyais que trop bien sur certaines scènes parmi les nombreuses choses qui me gênent (euphémisme) dans le dernier film de la dernière trilogie de la dernière saga de La dernière guerre des étoiles (c'est bon Disney, vous avez bien essoré la poule aux œufs d'or, on a vraiment fini hein? C'était bien la der des der ? (1)). Oh ben curieusement comme si on n'attendait que moi au tournant, vient 1917.
Et ses tranchées JUSTEMENT bien propres.


Oui je dégaine d'emblée l'un des trucs embêtants qui ne va nullement gêner le spectateur de base, celui qui te dit « oh c'est bon, tu peux laisser ton cerveau au vestiaire sur un film à gros budget comme ça ». Ah ben oui mais non. Parce que Sam Mendes n'est pas un réalisateur comme les autres non plus et qu'un tel film dans un tel contexte se doit d'être regardé avec plus d'attention tellement la première guerre mondiale passe sous silence carrément dans le paysage cinématographique face à toutes les œuvres traitant du coup de la seconde. Pas étonnant du coup que le cinéphile ne puisse parfois s'empêcher de filtrer les films au regard de ce qui a été déjà fait auparavant (2). Cela mis à part (et parce qu'on va y revenir après), le bilan s'avère dans mon cas globalement positif pour ce qu'il en est de 1917.


Ou alors je suis probablement trop indulgent, mais je vous laisse seuls juges.


Techniquement, visuellement (le film est construit en plans-séquences) et auditivement (le travail du son, vous m'aurez compris (3)) ça fait plaisir de voir un film plus que bien mis en scène (la photographie est magnifique. Qu'on refile un énième oscar à Roger Deakins bon sang) et avec de bons acteurs, dans le sens crédibles (on ne leur demande pas d'être parfaits, attention, juste "d'être" à l'écran et dans le contexte de la guerre, ce qu'ils sont, de simples soldats, perdus dans quelque chose de trop grand d'emblée pour eux). Même la bande son de Thomas Newman fait plaisir. Bref l'ensemble est des plus immersifs.


On chipotera sur certains points, à tort.
Par exemple j'en ai vu qui se plaignaient du fait que l'un des personnages ne rechargeait pas souvent son fusil. Pour info (et parce que ce n'est pas le genre d'infos que le film dispense), le SMLE = Short Magazine Lee Enfield britannique était bien un fusil qui pouvait tirer 10 coups plutôt que 5 pour ce qu'utilisaient les allemands donc pas d'approximations à ce sujet là, l'élève Mendes a bien révisé ses leçons.


Non globalement 1917 est bien et beau.
Et quand on dit beau, c'est comme d'une belle madeleine, un beau produit.
Un brin vide donc sous le vernis.


Ce qui nous amène aux réels problèmes qui empêchent 1917 de s'élever bien au dessus de la masse :


Déjà, zéro émotion ou si peu.


Les rares moments d'accalmie ne servent à rien.
Jamais l'émotion n'aura le temps de s'installer, surtout que la réalisation ne le permet pas : La mise en scène en plans séquences continus ne révèle pas d'un travail de montage qui inclurait des échelles de plans avec des visées émotionnelles ou informatives (l'exemple des gros plans). Bien sûr Sam Mendes pouvait passer d'un visage à un autre et il le fait parfois mais une caméra qui tourne un peu autour de ses personnages, mouais, bof. En incluant les soldats dans un gigantisme qui les broît (toute cette guerre infâme) avec d'immenses plans larges bénéfiques pour nous inclure dans l'histoire mais négatifs sur le plan de la psychologie des personnages, Mendes passe à côté de quelque chose.


En plus le film souffre de ce que j'appelle "le point de vue de la nation" (surtout celle qui finance le film et donc le tourne notez bien) et donc enlève tout universalisme au fait que ça a beau être dans un pays qui n'est pas le leur, la France et même si c'est une histoire liée au parcours de soldats britanniques, ben, à part une petite française dans des ruines et un ou deux cadavres dans un "torrent" (gné ?), nada. Dunkerque (Nolan) nous montrait également des français qui étaient là un peu pour faire joli visiblement mais bon quand y'a des français à l'écran dans une production anglo-saxonne, cherchez pas, soit on fait tapisserie quand ça se déroule chez nous soit on est des méchants. Triste. Quand aux allemands ils ne sont que des silhouettes, des abstractions et dont on ne verra jamais vraiment le visage à l'écran (excepté un aviateur en plein jour, et encore). Dommage (4).


Et ces tranchées bien trop propres...


En ouverture je me plaignais du dernier Disney qui inventait le concept de ruines trop propres (non je ne spoilerais pas) mais je m'aperçois que le problème est plus large. C'est le cinéma lui-même qui se censure généralement sur ces questions de réalisme historique, surtout quand la saleté s'en mêle. Relisez vous la BD de Tardi, "C'était la guerre des tranchées" pour avoir un vrai choc visuel qui vous laissera K.O. Oui je sais, les tranchées ne sont qu'une part du film et c'est justement en soi l'un des problèmes malheureusement. Et quand on connaît toutes ces données on ne peut que s'inquiéter comme moi au début de voir l'un des deux personnages principaux s'entailler la main sur des barbelés et... ah merde je spoile, je m'en rends compte. Bon bref, tétanos en fond mais en fait rien nada Mendes s'en fous, vous n'avez rien lu, chut.


Enfin le film se prive lui-même d'une partie de la surprise en axant le film sur des rails liés en partie au peu de héros que l'on suit. Laissez-moi m'expliquer, ici nous suivons deux soldats. En pleine guerre mondiale. Une guerre qui n'a pas fait de cadeau à quiconque (on en parle des gueules cassées ? Des innombrables veuves et orphelins?) donc on se dit qu'il va se passer quelque chose mais en fait... non. Ce serait tout un bataillon qui se fait décimer au fur et à mesure du film, on s'inquiéterait : parce que ça montrerait ici un danger implacable et inéluctable. C'est en partie ce que raconte judicieusement Alien de Ridley Scott : la première fois que l'on voit le film et sans trop en savoir quelque chose (c'est mieux même pour avoir le trouillomètre à fond), on ne sait précisément qui va survivre parce que jusqu'au trois quarts, non seulement la menace est in-identifiable et ne réagira jamais à des schémas humains mais aussi que Scott, malin comme tout, ne laisse jamais aucun indice à ce stade sur un éventuel héros ou héroïne qui pourrait s'en sortir. Ici nous avons deux héros, peut-être que les deux ou l'un des deux va s'en sortir. On s'en doute d'emblée et même si jusqu'à la moitié du film on peut s'inquiéter, la seconde partie se charge de balayer nos peurs, nos inquiétudes et donc le peu d'empathie que l'on pourrait avoir pour un possible survivant. Parce que Mendes dans son histoire et sa mise en scène fait en sorte que le héros survive finalement à tout. On est donc dans une espèce de montagnes russes cinématographiques, un « rail shooter » programmatique comme on dirait dans le domaine des jeux vidéos, millimétré et laissant juste l'option du grand spectacle (dépaysant il est vrai) cochée de bout en bout.


Maintenant que vous en arrivez là, à la fin (bravo pour supporter le vieux grincheux que je suis), vous me demanderez alors « Mais pourquoi si tu pestes autant pour le film, lui colles tu une bonne note ? »


Mais tout bêtement parce qu'à mes yeux ça reste un bon film, parbleu !


Attention, il aurait pu être tellement mieux encore pour tout ce que j'ai pointé (et où je ne suis probablement pas le seul je pense) et je vois bien que mon indulgence comparé à d'autres chroniques plus sévères est guidée évidemment en partie par des notions esthétiques. Mais ce sont ces mêmes notions esthétiques qui me font parfois préférer tel ou tel film plutôt qu'un autre, voire que la majorité. Dans le cas de 1917, je suis reconnaissant déjà au fait que le film veuille bâtir un vrai grand spectacle là où malheureusement souvent le niveau est bien plus bas. Et d'une manière basique y arrive si tant est qu'on ne gratte pas la petite bête. En soi je reste lucide de ce que je vois mais je l'apprécie aussi justement au final en ayant conscience de ses défauts en sachant que sur de nombreux points le film a voulu bien faire, voire très bien faire.


Et pour moi d'une certaine manière y a réussi.


(1) Oui pour expliquer mon amertume sur ce film et finalement toute sa trilogie je devrais écrire une chronique. Mais bon, beaucoup de gens ont finalement fait les choses tellement mieux sur le net, Sens Critique, Youtube que je ne me sens pas le courage de participer à tout ça. Enfin pas tout de suite. Ou jamais. Chais pas.
(2) Surtout si par exemple un certain Stanley Kubrick a plus ou moins livré sa vision en 1957.
(3) Il doit y avoir un terme de vocabulaire qu'on pourrait employer dans ces cas là mais je ne trouve pas. Saint Michel Chion, viens moi en aide.
(4) On oublie de dire que d'un côté comme d'un autre, français ou allemands, c'étaient des êtres humains avant tout, embarqués dans un beau merdier où ils n'avaient pas forcément envie d'être à la base. Qu'on note les exemples historiques de trêves de Noël entre les deux tranchées qu'il y eut. Ou même en film tiens, une scène magistrale dans le « Cheval de guerre » de Spielberg qui illustre bien cet exemple.

Nio_Lynes
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le 22 janv. 2020

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Nio_Lynes

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