Le faux plan-séquence, ou l'illusion du cinéma.

Le film plan-séquence n'est pas une nouveauté. L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat n'est-il pas en soi un plan-séquence, un seul plan fixe légendaire ? Depuis la création du cinéma, on a vu de nombreux plans-séquences, que ce soit l'ouverture de La Soif du mal, la virée dans l'espace que nous offre Gravity, ou encore le tout premier film plan-séquence, dès les années 40, La Corde.
Le plan-séquence est vieux donc, mais sa promotion spectaculaire omniprésente semble l’être moins. Comme si le "money shot", un plan très couteux et impressionant du film placé dans la bande-annonce avec effet, se résumait maintenant au film entier. Le plan-séquence ne sert plus à surprendre le public mais à l'attirer quitte à déclencher une déception symptomatique, relevant presque de l'attente du miracle, du messie. Des films comme Birdman, L'Arche russe d'Alexandre Sokourov ou le petit film indépendant allemand Victoria en sont exemples.
Mais ces plans-séquences (trop) valorisés ne sont-ils pas eux-mêmes une petite facette des changements drastiques de la publicité de l'industrie cinématographique ? Les "trailers" et autres "teasers" (absurdes bandes-annonces des bandes-annonces) nous montrent à quel point de nos jours on fixe le sort d'un film des mois avant sa sortie. On sait si on ira le voir ou pas, si il sera bon ou pas et on l'analyse au peigne fin pour connaitre avant l'heure ses intrigues et sa fin. La bande-annonce devient alors un film elle-même, rendant son client, le film, inutile d’être vu.


Dans ce décor essentiellement propre au cinéma hollywoodien, 1917 pourrait être un exemple de ce système de publicité, un autre film évènement, et une autre déception, d'autant plus qu'il ne s'agit là que d'un faux plan-séquence, des scènes étant mis bout à bout pour en former l'illusion. "Quoi ? Tant de publicité pour rien ?" s'exclameront certains. ce serait oublier la nature même du cinéma, l'illusion, la magie du mouvement. C'est cette magie qui sauve 1917 et le rend techniquement irréprochable.


Techniquement, c'est bien l'adverbe qui convient parfaitement au film. Inutile donc de parler des plans-séquences grandioses, beaux, particulièrement épatants. Si l'on imagine, sans que ce soit véritablement visible, les points de coupes, comme lorsque la caméra passe derrière un rocher, on reste toujours profondément marqué par l'image de ce soldat traversant en courant, latéralement, le champ de bataille, ce qui résume intelligemment le film, ou celle des interminables tranchées. On pourrait reprocher cependant un écran noir, seul véritable point de coupe et trahison visible.
Mais en dehors de ces plans-séquences, c'est l’intégralité du travail de Roger Deakins, directeur de la photographie fidèle à Sam Mendes, réalisateur de 1917, avec notamment Skyfall, mais également Blade Runner 2049, qu'il faut applaudir. La beauté cruelle d'une église en feu dans une petite bourgade française ou celle de dizaines de fusées éclairantes dans des ruines lui sont dus et cela lui vaut certainement des félicitations. En route pour les Oscars 2020 ?


La technique étant excellente, le scénario sera surement critiqué. Mais il est important de rappeler le but d'un tel film: présenter une immersion totale, dans un objectif proche de celui de Dunkerque, sans grands acteurs ou vrais personnages développés. Deux soldats banals interprétés par deux acteurs banals, dans une quête fraternelle.


Justifiant ainsi le biais du plan-séquence, 1917 cherche surtout à représenter les atrocités de la guerre (n'importe laquelle, puisque le long-métrage n'est pas axé sur l'aspect historique d'un tel récit) et le temps dans la guerre. L'attente de l’ennemi, l'attente de la mort, en temps réel.
1917 ne peut donc être séparé de son immersion et de sa recréation de l'attente, et pourrait alors être comparé à un jeu-vidéo, ne suivant qu'un seul et unique personnage.


La question que je me pose alors est celle-ci: est-ce péjoratif ? Il y a bien des jeux-vidéos cinématographiques alors pourquoi pas des films "jeux-vidéos-tographiques". N'est-ce pas une nouvelle forme d'art ? Des élitistes pourront cracher leur haine sur cet art, des passionnés pourront se réjouir de le retrouver sur le grand écran. Sans être ni l'un ni l'autre, je me contente de la beauté technique d'un tel projet, en espérant que ce nouveau genre n'envahisse pas les salles, comme Martin Scorsese le craint.


Si ce scénario n'est donc pas d'une originalité folle mais bien d'un tire-larme excessif, on apprécie tout de même ce nouveau Seigneur des anneaux (car, l'intrigue y est finalement très semblable, une fois le fantastique ôté), cette histoire parallèle à la Grande Guerre, deux soldats se battant, moins pour la patrie que pour ses hommes.

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le 25 janv. 2020

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