Sorti à temps pour la traditionnelle période des récompenses (les Golden Globes, mais surtout les prestigieux Oscars), 1917 compte se distinguer et tirer son épingle du jeu par rapport aux autres concurrents en lice pour la fameuse statuette dorée grâce à son impressionnante prouesse technique: le film a en effet été filmé de manière à ce qu'il apparaisse composé uniquement de deux plan-séquence. Bien entendu, ce qu'on pouvait redouter de ce formidable avantage marketing est qu'il ne soit finalement que cela : uniquement un avantage marketing, un simple "gimmick" qui aiderait le long-métrage à se faire connaître des spectateurs mais également auprès des professionnels du métier, de manière à accéder à un succès public ou à un succès critique (voire les deux). C'est donc avec cette appréhension que je pénétrai dans la salle obscure pour assister à la projection du dernier nouveau-né de Sam Mendes, réalisateur dont la réputation n'est plus à faire.


1917 commence directement dans le vif du sujet : nous nous retrouvons ainsi immédiatement immergé dans des tranchées du nord de la France (inutile de vous préciser en quelle année) alors qu'une section de l'armée britannique vient d'apprendre que la prétendue retraite des forces allemandes est en réalité un piège dirigé envers une autre division des troupes du Royaume-Uni, qui se prépare justement à lancer une attaque. Trois messagers sont donc désignés afin de demander l'annulation de l'offensive : les deux héros du film, Schofield et Blake, ainsi que le spectateur qui se retrouve malgré lui le temps de 2 heures soldat dans l'enfer de la Première guerre mondiale.


De fait, si on devait choisir un mot pouvant résumer l’entièreté du film, le choix de beaucoup (dont celui de votre serviteur) se porterait certainement sur le simple terme d'"immersif". Evidemment, ce sentiment est grandement dû du fait du procédé particulier grâce auquel l'oeuvre s'est fait connaître, sur lequel il faut évidemment revenir. Loin d'être le simple gadget visuel que l'on pouvait redouter, l'utilisation du plan-séquence et surtout l'absence quasi-totale de coupes permet au spectateur de suivre les deux protagonistes tout le long de leur périlleuse mission et d'être ainsi au plus proche de leur expérience. Le fait de ne pas couper, même pour quelques secondes, sur des événements parallèles se déroulant hors de leur point de vue permet au duo de s'affranchir symboliquement de leur condition de personnage de cinéma et de s'imposer comme étant de vrais soldats, vivant véritablement cette dangereuse traversée des lignes allemandes. De ce fait, le spectateur apprend à connaître les protagonistes dans leur vie de tous les jours par leur échange de quelques dialogues pouvant sembler anodins mais révélant leur personnalité, partage avec eux toute la tension lors de certaines scènes où chacun retiendra son souffle, sera tout autant surpris (voir plus) lorsque le son des balles commence à retentir dans un paysage à l'apparence pourtant déserte et ne saura ignorer l'effroi et le désespoir lors de quelques moments douloureux.


Ainsi, le décès du jeune Tom Blake fait partie des morts les plus pénibles transmises à l'écran, non seulement car nous voyons le protagoniste succomber petit à petit et en arriver à la réalisation que sa vie approche de sa fin, mais également car nous devons avancer immédiatement, sans transition, avec son compagnon et ressentir tout son deuil dans les secondes suivant le tragique événement.


Le plan-séquence présente donc toute son utilité en terme narratif et émotionnel, mais il serait injuste de mettre de côté le côté visuel et technique du procédé. La totalité du long-métrage n'a de toute évidence pas été véritablement tournée en temps réel en une seule prise : pourtant, à l'exception d'un petit moment (qui advient juste après la seule coupe du film) où la supercherie est évidente, bien malin est celui qui peut déterminer le moment où la caméra a été coupée et le moment où une nouvelle séquence commence. Il est ainsi très intéressant de se renseigner sur le travail monumental effectué par l'équipe de Sam Mendes et de son directeur de la photographie, Roger Deakins, afin de parvenir à ce résultat époustouflant (répétitions chronométrées des acteurs, construction des tranchées à une longueur correspondant au temps nécessaire pour la prononciation des dialogues au mot près,...).


De plus, il faut avouer que le film est visuellement très beau, l'image ayant visiblement été longuement réfléchi au préalable : les plans larges permettent de se rendre compte de la contraste évidente entre la beauté naturelle des décors verdoyants du nord de la France du début du siècle dernier et la désolation régnant sur les champs de bataille abandonnés ou dans les ruines d'une ville anéantie (il faut également féliciter pour ça l'équipe décor du film, menée par Denis Gassner et Lee Sandales, qui a effectué un travail fantastique facilitant d'autant plus le côté immersif de l'expérience). Ces plans larges permettent également d'insister sur le caractère solitaire de la mission des deux protagonistes, une idée qui est retransmise même dans certaines scènes quelque peu plus peuplées, où le duo se dirige dans le sens inverse du groupe de soldats (le début du film ou encore l'épique scène finale de la bataille qui est un délice visuel grandiloquent). Mendes et Deakins se permettent également de reproduire judicieusement certains procédés visuels qui avaient déjà marché à merveille dans leur précédent film Skyfall : l'affrontement au corps au corps de Schofield et d'un soldat allemand rappelle celui entre Bond et un tueur à gage dans un immeuble de Shangai, où la tension reposait également sur l'incapacité de distinguer clairement l'identité des combattants dans l'obscurité, tandis que le fait d'utiliser les flammes pour éclairer les restes de la ville d'Ecoust et d'ainsi donner à la scène une sentiment tant surnaturel qu'effroyable fait écho aux champs écossais éclairés uniquement par l'incendie dévorant l'ancienne résidence de 007.


Certains ont critiqué la simplicité du scénario de Mendes (co-écrit avec Wilson-Cairns), l'accusant de vouloir faire passer la technique avant l'histoire. Il serait inutile de nier cette affirmation : il est vrai que le pitch de l'oeuvre ne tient qu'en quelques lignes et que la prémisse pourrait être confondue avec celle d'une aventure des Tuniques Bleues (ce qui n'est cependant pas un défaut en soi). Cependant, la simplicité du récit permet également une certaine efficacité narrative. Il permet non seulement de vite rendre humain ses protagonistes mais également de transmettre la difficulté de cette période de l'histoire, vécue non seulement par les soldats mais également par les civils. Certes, tout n'est pas parfait, on retrouve certaines simplicités


(la rivière où se jette Schorfield aboutit fort heureusement à la forêt où se trouve les troupes recherchées)


ainsi que quelques incohérences (malgré quelques explications, on peut ne pas être complètement convaincu par la nécessité d'envoyer uniquement 2 soldats pour une mission de cette ampleur). Malgré tout, à travers son script, le film réussit à trouver un angle d'approche qui le distingue de la multitude des autres œuvres traitant également de la guerre. Au lieu de montrer des batailles épiques où deux armées composées d'une masse innombrable de soldats s'affrontent, Mendes et son équipe préfèrent nous montrer les retombées du conflit, laissant le soin au spectateur de reconstituer par lui-même les échanges armés dans son esprit à partir de l'imagerie perturbante qui s'impose sur l'écran. Loin de se complaire dans des échanges violents gratuits pour satisfaire l'esprit guerrier d'une partie de l'audience, le long-métrage se penche plutôt sur les conséquences désastreuses de ce tragique pan de notre histoire.


En conclusion, il serait totalement incorrect de qualifier 1917 comme étant un film profitant de sa prouesse technique pour bénéficier d'un effet de publicité, même si les réserves de certain sur le scénario ne sont pas complètement injustifiées. Les mois de travaux laborieux qui ont été utilisé pour concevoir l'image du long-métrage se voient récompensés par un plan-séquence visuellement époustouflant qui oblige le spectateur à suivre les soldats dans les tranchées boueuses du Nord de la France. On entre dans la salle en 2020 sans se douter qu'on y effectuera un voyage temporel qui nous fera revenir un siècle en arrière.

MathiasLest
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le 31 janv. 2020

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Donald Duck

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