Le plan-séquence, qui consiste en une prise de vues unique se déroulant en plusieurs endroits d'un même lieu ou successivement en plusieurs lieux reliés l'un à l'autre), existe depuis des lustres au cinéma, notamment grâce au film "M le Maudit" de Fritz Lang (1930). Au fil des années, cette méthode a évolué et est devenue très fréquente. En effet, au départ, un plan séquence était une simple scène, de quelques secondes ou quelques minutes grand maximum. Si, aujourd'hui, certains réalisateurs se limitent à inclure dans leur oeuvre une scène unique en plan-séquence, d'autres voient plus grand, notamment en décidant d'enchainer plusieurs plan-séquences dans leur fil. Ces dernières années, un nouvel exercice est devenu à la mode : le plan séquence "unique". Ainsi, en 2015, Alejandro González Iñárritu, scénariste et réalisateur mexicain, s'adonne à cette prouesse. Puis, en 2019, c'est au tour du talentueux Sam Mendes, réalisateur notamment des deux derniers films de la saga James Bond ("Skyfall" et "Spectre") de se prêter à cet exercice, afin de parler de la Première Guerre mondiale.


Blake et Schofield sont deux jeunes soldats britanniques parmi des centaines présents au front, dans le Nord de la France, leur tranchée faisant face à la tranchée allemande. Leurs supérieurs ont reçu des informations : les allemands ont tendu un piège aux soldats d'un autre bataillon, comptant 1600 hommes, dont le frère de Blake. Leur général leur transmet une mission impossible : leurs lignes de communications ayant été coupées par l'ennemi, les deux soldats doivent transmettre un message écrit, en passant ainsi par le "no man's land" séparant les deux tranchées, en à peine 24H. Les deux soldats s'élancent alors, avec sur leurs épaules le maintien à la vie de centaines de patriotes et un grand nombre de dangers terrifiants...


Sam Mendes a eu l'idée de ce scénario grâce à une histoire racontée par son grand-père, Alfred Mendes, à qui le film est d'ailleurs dédié. Si l'histoire peut paraitre simple du fait que les deux héros partent simplement d'un point A pour atteindre un point B, avec comme seule mission de délivrer un message, l'histoire n'en reste pas moins intéressante, palpitante et stressante. Ce film montre tous les dangers et détails de la guerre, les atrocités qu'elles pouvaient engendrer, et en particulier la Première Guerre mondiale. Le stress ressenti par les personnages est prenant à chaque seconde qui passe, à chaque mètre parcouru, avec un danger constamment présent. Ainsi, on a le droit à des scènes de combats/tirs, notamment avec des snipers, à de nombreuses courses-poursuites, etc. De plus, les quelques dialogues entre les personnages semblent très réalistes au regard de ce qui leur arrive, donc on y croit totalement.


Pour raconter cette histoire, le plan séquence semblait être la méthode idéale de la faire vivre de la meilleure des manières. Sam Mendes a parfaitement réussi son coup. Le film donne bel et bien l'impression qu'on vit un plan séquence unique, ou pour être plus précis, deux gros plans séquences de 45-50 minutes chacun, car une coupure assez nette est présente vers le milieu du film. Pour le reste, les coupures sont (quasiment) invisibles, et cela demande une rigueur et une précision remarquables, permettant d'atteindre un résultat exceptionnel.
Il y'a un vrai travail sur les raccords entre chaque plan, chaque scène, et cela concerne aussi bien les décors que les costumes. La technique est maitrisée à la perfection : les décors sont sublimes, avec tous les détails de la guerre parfaitement représentés (des corps qui jonchent le sol, la construction des tranchés, la ville d'Ecoust...), ce qui n'empêche au réalisateur de présenter des décors plus doux, notamment lors des scènes d'ouverture et de conclusion du film, qui montrent Schofield adossé à un arbre, au soleil, avec un léger vent qui souffle, et derrière un joli bois. De plus, les costumes sont également magnifiques, avec justement une volonté manifeste de respecter les raccords au regard des différents évènements qui arrivent aux personnages (costumes mouillés, présence de boue, de sang, de sable...).
Les effets visuels du film sont très réussis, et le travail sur le son est parfaitement maitrisé, on a toujours cette sensation d'entendre immédiatement les bruits comme si on était personnellement touché, ou présent avec les deux soldats (cela concerne par exemple les coups de feu, ou les vols d'avion dans les airs...).
Les deux acteurs principaux, Georges MacKay (Schofield) et Dean-Charles Chapman (Blake), bien que peu connus, sont tous les deux excellents, et il en va de même pour les quelques seconds rôles, dont les noms sont bien plus familiers (Colin Firth, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch...).
Ce qui fait également la force de ce film, et qui sublime le tout, c'est sa qualité d'image : en effet, la photographie est divine. Elle a été gérée par celui qui est certainement le plus grand directeur de la photographie du monde, à savoir Roger Deakins, qui avait déjà collaboré avec Sam Mendes pour "Les noces rebelles" et surtout "Skyfall". On retrouve d'ailleurs la patte Roger Deakins, notamment au cours de cette fabuleuse scène qui se passe de dans la ville française d'Ecoust, avec une lumière sublime (très semblable à l'éclairage dans la scène finale de "Skyfall", et également, à un degré moindre, à la scène de fin dans le film "Prisoners" de Denis Villeneuve), mais toute la photographie est absolument fantastique.
Enfin, le film est superbe également grâce à sa bande originale, signée par Thomas Newman (également un collaborateur régulier de Sam Mendes). Le compositeur américain signe une partition magnifique, avec des musiques qui peuvent être soit douces, soit au contraire beaucoup plus "violentes", plongeant totalement le spectateur dans l'action (on peut notamment penser au plan iconique du film, lorsque Schofield est amené à courir perpendiculaire par rapport à tous les soldats pour pouvoir apporter ce fameux message pour lequel il lutte depuis 24h).


Tous les éléments du films sont réussis, et cela donne un regret : la quasi-totalité des "instruments" ont gagné un Oscar en 2020 (cela concerne la photographie, les effets visuels et le son, bien que la musique ait malheureusement été oubliée, ce qui est paradoxal), mais le chef d'orchestre, Sam Mendes, n'a quant à lui pas obtenu la récompense suprême, à savoir l'Oscar du Meilleur Réalisateur, voire celui du Meilleur Film (il a néanmoins remporté un Golden Globes et un BAFTA dans ces deux catégories). En effet, il est dommage de ne pas avoir récompensé son excellent travail : il avait un projet, qu'il a assumé de bout à bout, pour un superbe résultat. Les allemandes voulaient contrecarrer les projets des britanniques et des alliés pendant la Guerre ? Sam Mendes, de son côté, a parfaitement réussi son plan (séquence).

HugoDe_Ranter
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le 29 mars 2021

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Hugo De Ranter

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