1917 (2020), de Sam Mendes, ne laissera personne indifférent. Au delà de la période choisie, la Première Guerre Mondiale, sous-représentée au cinéma (en particulier anglo-saxon) comparée à sa cadette (et à la guerre du Vietnam), l’hallucinant exercice de style du réalisateur britannique a de quoi interroger.


En effet, 1917 a la particularité d’être filmé en un seul plan-séquence, si l’on excepte un fondu au noir en milieu de film quand le protagoniste tombe inconscient. Et contrairement au plus onirique Birdman (2014), ce plan séquence est réaliste, sans incohérence. Les raccords numériques sont invisibles. Techniquement, c’est irréprochable, et fait dans un style fluide et organique, qui alterne des vues aériennes et d’autres, plus discrètes, au niveau des acteurs, proches du « Spielberg oner ». Pas surprenant quand on se souvient de l’excellente séquence d’introduction du par ailleurs médiocre Spectre (2015) de Mendes, dans l’exacte même veine.


D’où la question à 1000 points : sommes nous en face d’un exercice virtuose mais vain, voire carrément déplacé au vu de la thématique ?


Ma réponse (personnelle) est non : le plan-séquence enrichit le film. Il nous happe et maintient une tension inédite. Après plus d’un siècle d’accoutumance au langage cinématographique, en tant que spectateurs nous y sommes parfaitement habitués. Au fil des coupes, nous reconnaissons les moments de tension, les moments de relâchement, et certaines intentions du réalisateur. Cela peut se faire par un plan qui s’attarde sur un regard, par un contre-champ régulier lors d’un dialogue, ou encore dans une succession rapide de plans retranscrivant le chaos et la violence d’une situation, par exemple. Nous connaissons tous cette rythmique.
Du coup, quand Mendes se prive du montage (visible), il nous jette en dehors de notre zone de confort. Il crée une tension permanente, qui se rapproche de celle qu’éprouvent les deux personnages principaux. Comme eux, nous ne savons jamais véritablement quand baisser notre garde, même si les alentours semblent calme. Nous finissons l’aventure autant fatigués et hallucinés que le caporal Schofield (l’excellent Georges MacKay).


La scène où il court le long de la ligne de front au moment de l’offensive alliée et sous le feu de l’artillerie allemande est d’ailleurs un moment d’anthologie dont je me souviendrai longtemps.


Je pense d’ailleurs qu’une des grandes réussites du film vient de sa représentation du temps et de l’espace. Privés de toutes les micro-ellipses cachées entre chaque plan, nous vivons donc l’aventure en « temps réel » (sauf, encore une fois, pour la coupure centrale). Tout est donc légèrement accéléré, compressé, pour rentrer dans les deux heures du film. Pour autant, cela reste très crédible. On ne se dit pas « Mais en fait, ils sont partis il y a une demi-heure seulement ! ».


Cependant, le film n’est pas parfait. La musique grandiloquente dans Ecoust en flammes en fait des inutilement des caisses, ces poilus sont vraiment propres et rasés de près pour 1917, les deux seules vraies interactions avec des allemands sont des trahisons, la mentalité de boucher des généraux est très édulcorée et l’absurde magnitude des horreurs de cette guerre n’est jamais vraiment retranscrite à l’écran. Il n’y a pas par exemple d’équivalent à la scène du débarquement de Il faut sauver le soldat Ryan (1998), film avec lequel il est tentant de dresser des parallèles. On peut regretter également ne jamais voir de soldats français.


Bref, si son parti pris risque d’en froisser certains et s’il possède quelques défauts, 1917 est un film divertissant, spectaculaire, virtuose, et (à la part pour Ecoust en flammes) pas complaisant avec son sujet. Peut-être le film qu’il manquait à Hollywood pour représenter cette période historique.

Bastral
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2020

Créée

le 30 août 2020

Critique lue 80 fois

1 j'aime

Bastral

Écrit par

Critique lue 80 fois

1

D'autres avis sur 1917

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

101

1917
guyness
5

Fier Mendes (dans le nord de la) France

Certains films souffrent de leur intention. Surtout quand cette intention est mise en exergue par leur promotion. Impossible alors de ne voir que le résultat sans juger l’œuvre à l'aune de ce qui...

le 15 mars 2020

150 j'aime

20

1917
Halifax
9

Course contre la mort

France, 1917, une prairie. Première respiration et premier mouvement de caméra. A partir de maintenant et pendant presque 2h, cette caméra ne s’arrêtera plus de tourner, de monter, de descendre,...

le 8 janv. 2020

97 j'aime

7

Du même critique

Les Traducteurs
Bastral
2

Lost in Translation

Les Traducteurs (2020) est un whodunit qui allie sur le papier un concept classique, le mystère en chambre close, à un contexte original : il ne s’agit point d’élucider un meurtre, mais de trouver un...

le 3 févr. 2020

27 j'aime

5

La Terre à plat
Bastral
6

Globalement plat

Alors que certaines plateformes de vidéos en lignes ont été récemment accusées de diffuser sans distinction nombre de pseudo documentaires complotistes, j'ai été intrigué de voir ce La Terre à plat...

le 15 mars 2019

17 j'aime

Millénium - Ce qui ne me tue pas
Bastral
3

Millénium : Ce qui ne marche pas

Difficile de parler d’une suite au Millenium de Fincher. Le réalisateur (Fede Alvarez), les scénaristes, les acteurs, le compositeur, le chef op… sont tous différents ! En plus, il n’adapte même pas...

le 16 nov. 2018

17 j'aime

3