On aurait tendance à oublier que l’avènement de la démocratie en Corée du Sud est tout récent, même pas une quarantaine d'années. Avec cette donnée en tête, on comprend mieux l'émergence d’un cinéma sombre, à charge, comme la catharsis d’artistes jusque là muselés par un régime liberticide qui dans la paranoïa de la lutte contre le Nord a fini par en adopter les méthodes, à s’abaisser à son niveau dans la proverbiale logique de la fin justifiant les moyens. C’est peu ou prou le même phénomène créatif qui s’empara du film espagnol à la sortie du franquisme, dans une déferlante de films de genre jusqu’au-boutiste (des Révoltés de l’An 2000 au punk subversif de Àlex de la Iglesia). Libérer une parole sous pression semble accoucher d’une expression enragée, pulsionnelle, noire.
Mais il est plus rare que le Pays du Matin Calme s’attaque sans détour ni allégorie à sa propre histoire. Seul me vient en tête le superbe A Taxi Driver de Jang Hoon, compagnon de route parfait à 1987: When the Day Comes qui suit le cadre resserré des rassemblements étudiants de Gwangju et la brutale répression policière qu’ils engendrèrent. Inversement, le film qui nous intéresse aujourd’hui choisit une approche plus macroscopique, une radiographie complète et chronologique des événements qui signèrent la levée de la chape de plomb qui étouffait la Corée.
1987(…) se monte tel un dossier d’investigation, multipliant ses acteurs pour rendre compte de la dimension tentaculaire de l’affaire, touchant à tous les niveaux du gouvernement et à toutes les strates d’une société en ébullition. Par un point de départ d’apparence singulier, la mort d’un étudiant en cellule d’interrogation par la commission de lutte anti-communiste, c’est un réseau de ramifications dans la conscience collective du peuple coréen qui s’active. L’alternance des points de vue, entre étudiants, journalistes et officiels, dresse une vision exhaustive du tableau. Si l’on aura tôt fait d’oublier le rôle de maints personnages présentés (la plupart n’apparaîtront que quelques minutes), le film n’oublie pas pour autant de s’attarder sur certains individus, soit pour leur rôle clé dans le déroulé historique, soit pour donner au spectateur le point de vue du citoyen lambda, le mettre ainsi en profonde empathie face à l’injustice, et donc l’encourager à joindre l’idée révolutionnaire.
Le hasard de mon parcours cinéphilique fait que je découvre ce film en 2025, alors qu’en décembre dernier se tenait la tentative d'insurrection autocratique du président Yoon-Suk Yeol via un décret de loi martial tué dans l’œuf et menant à sa destitution puis son arrestation. Un acte présidentiel justifié sous couvert d’opposition à l’infiltration d’éléments Nord-Coréens dans le camp politique adverse, majoritaire à l’Assemblée nationale. Si le jugement est encore en cours, ce coup d’état raté ne peut que trouver écho dans les événements de 1987, et nous rappeler la fragilité des régimes démocratiques. Celle des jeunes, comme des vieux.