Voilà plus d'un an qu'un certain milliardaire dirige la Maison Blanche, et force est de constater que c'est dans un climat de résurgence des tensions sociales qu'il a été élu et qu'il préside, ce que ne manque pas de rappeler le cinéma américain de ces dernières années. Notamment, le scénariste et désormais réalisateur Taylor Sheridan observe ces problématiques de la frontière mexicaine (Sicario) jusque dans les tréfonds du Wyoming (Wind River). Si ces deux films ne manquent pas de pertinence par leur lucidité critique, ils font preuve d'une certaine complaisance dans la fracture sociale et la violence, traduisant un regard profondément pessimiste. Pourtant, entre ces deux productions, le même auteur suggère avec la conclusion de Comancheria dont il signe le scénario la possibilité d'un dialogue entre les forces en présence. Avec 3 billboards, les panneaux de la vengeance, où le conflit éclate dans une petite ville typique du Missouri, Martin McDonagh semble prolonger cette ouverture formulée par Sheridan, allant même jusqu'à imaginer une réconciliation a priori improbable, voire impensable.


Le récit évite cependant de tomber dans l'idéalisme, laissant constamment une part d'ambiguïté dans les antagonismes qu'il développe, ce qui fait sa faiblesse selon Les Cahiers du cinéma. Ils lui reprochent de ne pas savoir trancher ses partis-pris idéologiques, alors que son registre de comédie dramatique amène logiquement à une démonstration ambivalente. La dramaturgie joue d'ailleurs très bien le funambule, affirmant en premier lieu un postulat narratif jubilatoire (une mère de famille dont la fille a été violée et assassinée s'approprie des panneaux publicitaires pour dénoncer l'incompétence de la police locale) pour mieux lui donner du plomb dans l'aile par la suite. Étonnant d'obstination passionnelle, ce personnage nommé Mildred magnifiquement interprété par Frances McDormand questionne notre trop confortable rapport à la morale en faisant fi des dommages collatéraux : elle apostrophe le chef de la police pourtant rongé par le cancer et incendie un poste de police sans avoir la certitude qu'il est bien inoccupé. Il n'y a pas de vengeance propre. La phallocratie persécutrice de l'ex-mari de Mildred et du meurtrier de sa fille, l'ingérence de la police sont indiscutablement révoltants, mais Martin McDonagh ne choisit pas la voie de la catharsis comme peut le faire un Tarantino pour mettre à bas ces rapports de domination.


Il ne se contente pas pour autant de montrer le revers de la médaille à toute action radicale et ne cherche pas à démontrer les travers de l'auto-justice. Il veut avant tout esquisser des portraits d'individualités dont les contradictions passionnelles prennent leur source dans une culture de la violence généralisée, qui contamine tous les rapports sociaux et donne toute leur épaisseur aux protagonistes. Cet anti-manichéisme permet de mêler avec une grande spontanéité l'humour et le drame, faisant ressortir la force empathique de quelques situations narratives marquantes. D'un dialogue cinglant et jouissif avec le prêtre local au suicide digne et émouvant d'un mari et père de famille, en passant par l'apparition impromptue d'une biche, 3 billboards ne manque en effet pas de séquences atypiques et finement réalisées. Il faut tout de même remarquer que l'inconsistance de certains personnages secondaires, comme le fils de Mildred où le nain qui tente vainement de se rapprocher d'elle grippe quelque peu le mécanisme dramatique. C'est d'autant plus dommageable qu'ils ne manquaient pas de potentiel. C'est là que la comparaison avec le cinéma des frères Coen dont McDonagh s'inspire fortement (le choix de Frances McDormand n'est pas un hasard) ne joue pas en sa faveur.


Qu'importe, le métrage parvient à nous mener avec un certain naturel à sa conclusion inattendue, où la violence est désamorcée successivement par un dîner au restaurant qui aurait dû très mal se finir, la confrontation de deux vieux ennemis autour d'un verre de jus d'orange avant le dialogue final qui laisse un doute plutôt rhétorique, où la vengeance se délite d'elle-même. McDonagh rappelle ainsi que la violence au sein d'une communauté n'est pas vouée à se perpétuer si les individus qui la composent parviennent finalement à se comprendre à défaut de s'apprécier. Il trouve là un moyen salvateur de dépasser un simple exposé de la violence sociale.


Voir ma critique de Sicario : https://www.senscritique.com/film/Sicario/critique/38991539


Voir ma critique de Comancheria : https://www.senscritique.com/film/Comancheria/critique/103868944

Marius_Jouanny
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le 30 janv. 2018

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Marius Jouanny

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