oct 2009:

Foutre! Que de temps passé depuis mon dernier Bunuel! Cela doit dépasser les cinq ans, assurément! Et ces retrouvailles, si elles n'ont pas été aussi chaudement appréciées que lors de l'extraordinaire Charme discret de la bourgeoisie, elles recèlent pourtant quelques pépites d'un humour provocateur que Jean-Louis Carrière et Luis Bunuel savent si habilement instiller dans un récit à l'aspect de prime abord académique, excepté pour les séquences oniriques par lesquelles "Belle de jour" s'échappe avec hardiesse et sentiment de culpabilité de la morne réalité. Le duo d'auteurs s'attaque une nouvelle fois à la bourgeoisie, ses espaces étriqués, ses esprits limités qui favorisent un malaise inexplicable. Belle de jour ne sait pourquoi elle se sent aussi attirée par le sexe. Elle livre d'abord une lutte sans merci contre ses pulsions inavouables ; entre attirance et répulsion, son corps est ballotté avec une violence incompréhensible. Alors qu'elle se trouve au bord de la crise de nerf, un Piccoli pervers à souhait, libre surtout, lui donne les clés de son salut. Dans un deuxième temps, Belle de jour doit payer le prix de cette liberté. Tombant de Charybde en Scylla, il semble que la bourgeoise soit condamnée à ne pouvoir vivre épanouie, heureuse. On sent là que Bunuel lui même est tenaillé par le sentiment de culpabilité. Jamais il ne laisse sa Belle de jour en paix. A l'instar d'un Flaubert bovarien, on comprend... tsss... on croit comprendre -restons humbles- que pour Bunuel, Belle c'est lui! Elle est l'astre blanc, la lumière blonde autour de laquelle la caméra tourne, aliénée pour son pouvoir d'attraction solaire, obsédée par la nécessité vitale de suivre avec quel acharnement le destin semble se jouer de la pauvre Belle. Sadisme de la caméra -et du spectateur- masochisme du personnage coexistent, s'autovitalisent dans une danse macabre où les victimes expiatoires, les chèvres se révèlent être Jean Sorel et Pierre Clémenti.

La photographie de Sacha Vierny offre des contrastes chromatiques saisissants de sens, les gris monotones du couple par opposition à la diversité veloutée de la maison close. Belle de jour entre chair crême et rouge sang, comme le vase de roses qu'elle fait choir se déplace également dans des espaces aux couleurs dédiées à ses émotions, sensations et angoisses. Comme dans un rêve. Par bien des aspects, cette Belle de jour me fait songer à Alice aux pays des sévices ou des délices -rayez la mention inutile- sans cesse bousculée par une destinée floue et des angoisses désincarnées qui motivent l'expérience charnelle de la transgression, elle cherche sa voie, un salut incertain.

La mise en scène de Bunuel est a priori très sèche et directe. Sans doute laisse-t-il une large part de responsabilité et d'initiative aux acteurs? J'ai tout bonnement été séduit par Michel Piccoli ou même Francis Blanche dans des rôles secondaires où leur justesse, omniprésente, n'a cessé de me bluffer. Les toutes premières scènes de Piccoli sont si subjugantes que je me suis pris à l'admirer. Mais il est si précis dans son jeu que je n'ai pas eu de mal à revenir dans le film aussitôt, sans problème.
Il n'est pas nécessaire d'être un grand consommateur de films pour s'apercevoir assez rapidement pendant le visionnage que la jeune Catherine Deneuve fait preuve d'une redoutable efficacité. Justesse également. L'ambiguité du personnage, les troubles, les perturbations dans lesquelles elle se sent emprisonnée sont très joliment dessinées, avec une grande maitrise qui force le respect et les applaudissements.
Jean Sorel reste encore un mystère pour moi. Vu récemment dans Chair de poule où il m'avait semblé très lisse, j'ai ici bien du mal à lui trouver de plus ample attrait. Toujours tiré à quatre épingles, son image est comme figée, ce qui cela dit coincide logiquement ici avec son personnage de bourgeois, gentil, propret, à l'horizon bêtement plat et vide.
Pierre Clémenti n'est pas moins mal loti avec son exact opposé : le voyou, sale, rude et dont la brutalité n'a d'égale que la courte vue de l'existence et des sentiments. Son jeu un brin ampoulé n'échappe pas aux clichés du genre.

Fines provocations au parfums surréalistes (on ne se refait pas) et jeux de comédiens succulents garnissent un film intelligent et drôle qui ne cache pas cependant le lit de tristesse sur lequel il se couche avec une étrange allégresse.
Alligator
8
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le 23 mars 2013

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Alligator

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