"Qu'est-ce que je viens de voir bordel ?" est la première réaction du spectateur qui sort de Blade Runner 2049. Une phrase très littérale : au terme de presque 3h de tripatouillages philosophiques questionnant entre autre l'éthique et le pouvoir humain, l'on se surprend à se masser douloureusement les tempes à la recherche du moindre souvenir du film que l'on vient pourtant à peine de voir. Rien à voir avec les fins retournant tripes et cerveaux de Prisoners Enemy du même réalisateur Denis Villeneuve pour ne citer qu'eux, ni avec cet amer goût de conclusion injuste mais inévitable de son pharaonique (oui,oui) Sicario . Non, lorsqu'on sort de Blade Runner 2049, c'est une authentique et totale frustration qui nous prend. Un doute profond qui s'égraine au fil des secondes, des minutes, des heures (plus ?). Passé ce stade inconfortable d'incompréhension, c'est la réalité qu saute finalement aux yeux, à l'instar du parcours nébuleux du personnage principal s'achevant sur une cruelle vérité. 2049 est un monstre tentaculaire, un parangon de cinéma tutoyant les vertiges métaphysique que sont Apocalypse Now (on y revient toujours à celui là) et 2001 (bis) . Sans atteindre leurs imparfaites perfections. Explications.
Où l'officier K, Blade Runner taciturne qui, missionné comme à son habitude pour éliminer un Réplicant d'ancienne génération, s'engage sur le dangereux chemin de son passé, à même de remettre en cause la suprématie humaine. Premier constat : oui, vous avez bien lu "ancienne génération". K, lui même Réplicant (?) appartient à la nouvelle. Outre le propos méta sur les suites de films bousillant les originaux, on se heurte ici à la première ambition du film : Villeneuve, épaulé par le chef op' Roger Deakins et les compositeurs Benjamin Wallfisch et Hans Zimmer, bâtit une cathédrale liquide, un imposant monceau de cinéma qui s'écoule lentement. 2049 est désincarné, vidé de vie mais pas d'images splendides et de sensations grisantes : les séquences sensorielles puissantes sont nombreuses et les aplats de couleurs tape à l'oeil favorisent l'artificialité de l'univers. En effet, tout sonne faux dans 2049. Non pas le film mais l'univers : plongés dans des lumières et des costumes extravagants, les personnages se livrent à des exactions toutes plus folles, inconsidérés les unes que les autres, dans une sorte de tentative de redonner vie à ces tas de métaux grinçants que sont les villes et les bureaux jaunâtres de la compagnie Wallace. Les personnages se déplacent mollement, les séquences s'étirent dans le temps (la scène de "sexe" un grand moment de 2017, la poursuite entre Deckard et K dans l'hôtel ravagé) et le film s'appuie lourdement sur ces instants de non grâce.
C'est noyé dans ce mortel désespoir de voir la vie affleurer que le spectateur voit ça et là surgir de faibles lumières au bout du tunnel : chaque piste est la nouvelle occasion de croire à nouveau à l'impossible, d’espérer découvrir qui nous sommes. L'inconnu devient un cadeau dans ce monde fait de 0 et de 1. De ce monde mort s'extirpe parfois l'alternative rêvée, celle du choix. La grande question ne consiste plus en "Réplicant où pas Réplicant ?" 35 ans plus tard, dans un monde dépendant de sa technologie, la question "Humain où pas Humain ?" devient tout de suite plus urticante. Et cette thématique, Villeneuve la brasse dans tout les sens : le rapport presque charnel à l'informatique, Her nous l'a déjà fait. Matrix a déjà posé la question du destin tout tracé. Ainsi, pour redynamiter ses thématiques, le réalisateur québécois préfère la question plus obsédante de la mémoire. Du toujours et du jamais. Omniprésente dans son cinéma (c.f Premier ContactEnemy), elle prend tout son sens dans le moule Blade Runner, un monde gigantesque où les conséquences ne sont que des résonances lointaines d'actes qui remontent à loin. Impossible de savoir ce que l'on va provoquer, le monde s'est tant complexifié, les extrêmes tant éloigné que d'une ville à l'autre, c'est un tout autre un film qui se crée. Ryan Gosling traîne donc ainsi sa sublime carcasse du drame choral au film d'anticipation pur et dur en passant par le thriller parano et parfois l'errance post apo, le tout jamais idéalisé, toujours ramené au quotidien, décidément le pire des ennemis, le plus insaisissable. Pour renforcer cette idée, le film se laisse malheureusement parfois aller à des longueurs qui perdent leurs sens, à des instants de poésie étrange trop hors sujet (les abeilles et les statues abattues dans la ville de poussière, la manufacture clandestine dans des décombres) et du simple beau pour du beau soulignant des thématiques largement digérées par le grand public en plusieurs occasions (bien qu'impressionnante, la première séquence impliquant un Jared Leto impérial est d'une inutilité criante et aurait pu être éjectée en deux lignes de dialogues) (on regrettera également quelque faiblesses d'écritures, spécialement la fin de l'arc narratif concernant l'amoureuse de K)
Si le visionnage de 2049, un bombardement philosophique sensoriel et contemplatif incessant, peut sembler laborieux, le film trouve sa force dans sa lente dilution qui suit la séance, dans sa décantation dans l'esprit d'un spectateur. Dans sa mort : 2049 est grandiose dans sa mort.

JeVendsDuSavon
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le 15 oct. 2017

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