C'est une toute petite chose, pas désagréable, jamais passionnante, vaguement ennuyeuse que ce film. L'engouement qu'il suscite reste un mystère mais à l'ère où Lucy dépasse les 4 millions d'entrées et a bénéficié d'une presse bien indulgente, c'est finalement plutôt une bonne nouvelle. Car Jeremy Saulnier est définitivement un cinéaste à suivre : s'il s'appuie un peu trop sur une bande-son d'inspiration lynchienne (ah, ce bruit sourd qui envahit la plupart des scènes, typique des productions indés américaines depuis une quinzaine d'années), il sait définitivement créer une ambiance, distiller le malaise, jouer de l'étirement des séquences. Son travail sur la photo est également assez remarquable. Il réussit également à se dégager rapidement de références potentiellement étouffantes (les frères Coen en premier lieu).
D'où vient alors le sentiment d'ennui qui gagne au fur et à mesure que le film avance? La faute d'abord à un scénario ultra simpliste qui enchaîne les facilités et les incohérences : le double des clés de la voiture retrouvé chez la sœur; les retrouvailles avec l'ami d'enfance opportunément armé jusqu'aux dents; le héros obligé au début du film de faire les poubelles pour se nourrir mais qui trouve de quoi s'acheter une arme quelques séquences plus tard; etc. On peut, c'est certain, lire dans ces derniers éléments un portrait de l'Amérique contemporaine, gangrénée par la libre circulation des armes. Ou bien, une certaine paresse d'écriture tant la question sociologique apparaît loin des préoccupations premières du cinéaste.
Plus problématique peut-être la volonté de Jeremy Saulnier de ne pas choisir entre une intrigue anesthésiée, où la dépressivité donne le tempo, et l'instillation d'une tension censée servir la dramatisation du film. Mais ici, ce parti-pris joue contre la mise en tension qui ne fonctionne jamais totalement, laissant le spectateur désaffecté, à l'image du personnage principal en somme. Ceci constitue probablement une réussite du film; elle ne fonctionne néanmoins qu'au prix d'un désintérêt croissant pour le devenir du personnage et pour, in fine, le film en lui-même.
Malgré ceci, Blue Ruin reste une œuvre intéressante, mais mineure, qui augure surtout des potentialités que contient le cinéma de Jeremy Saulnier, auteur à suivre donc.
Adam_Kesher
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le 31 août 2014

Modifiée

le 2 sept. 2014

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