Que Django choisisse le costume bleu de l’acteur de comédie de théâtre pour se déguiser et habiller son rôle n’est pas anodin : cela fait sens avec l’approche esthétique (le western spaghetti) de la période historique ici abordée (l’esclavage à la veille de la Guerre de Sécession), une approche volontiers outrancière et farcesque. Quentin Tarantino compose ainsi une œuvre carnavalesque flamboyante dont la démarche consiste, comme tout carnaval, à redistribuer les statuts, les races et les sexes. La mascarade est présente dès l’ouverture qui introduit un personnage de dentiste allemand excentrique dont le chariot est orné d’une fausse dent montée sur ressort. Nous voilà dans un théâtre de foire : assis près du feu, Django écoute le docteur King Schultz narrer, tel un conteur populaire, le mythe fondateur de sa culture, soit l’histoire du héros Siegfried venu sauver la belle Brunhilde des flammes du dragon.
Ce faisant, Quentin Tarantino introduit non sans malice une trajectoire identitaire qui inscrit son affranchi dans une filiation initiatique avec un fondateur de cité, une figure d’émancipateur à l’origine d’une nation entière, unie et forte. Il élabore un mythe pour en détruire un autre : celui de la suprématie de l’homme blanc. Une telle association mythologique change aussitôt le destin individuel dudit Django, soucieux de retrouver son épouse, en une lutte pour l’émancipation des esclaves et justifie alors le dernier mouvement du long métrage qui expulse son héros loin des plantations pour mieux orchestrer un retour triomphal avec moult ralentis et images iconiques.
Cette renaissance ultime exige deux sacrifices : celui de son mentor et allié, projeté sur la bibliothèque après le fracas d’un fusil ; celui du cinéaste en personne qui, en explosant un sac de dynamites entre les mains, laisse le champ libre à sa créature, désormais indépendante – le travail de composition du plan dit tout en ce que la fumée de l’explosion disparaît peu à peu pour immortaliser Django survivant et même revenu à la vie. Son visage couvert de poussière, tel un clown fardé, est lavé. L’acteur disparaît, un mythe est né. On le regarde, sans mot dire. Un David noir affronte un Goliath blanc esclavagiste et le terrasse L’intelligence du propos, enracinée dans un divertissement terriblement efficace à la photographie splendide, incarnée par des acteurs au sommet, achève de faire de Django Unchained le chef-d’œuvre de son auteur – ou l’un d’eux ?