L’intelligence de Family Romance, LLC est avant tout formelle, puisque le cinéaste adopte une démarche documentaire avec caméra à l’épaule, tournage pirate et acteurs amateurs – comprenons, un geste artistique qui n’a de cesse de se confronter au hasard, d’ouvrir le champ des possibles – pour rendre compte de la virtualité des relations humaines ici thématisées, à savoir une agence qui remplace les êtres défaillants par des comédiens expérimentés. Ainsi Werner Herzog interroge-t-il la société japonaise dans son rapport complexe aux valeurs morales inscrites dans son patrimoine culturel telles l’humilité, l’honneur, le sacrifice parce qu’exposées et adaptées à une modernité technologique quant à elle source d’anonymat, de débauche – en témoigne la peur qu’éprouve la mère de Mahiro devant les réseaux sociaux – et de solitude.


Le parcours du protagoniste principal constitue une entrée en dépersonnalisation, à mesure que les rôles se succèdent, que les êtres s’attachent et engagent leurs sentiments, que le faux devient vrai, dit quelque chose de vrai ; la clausule, à ce titre, bouleverse par une idée de mise en scène toute simple et déjà vue, mais qui arrive au bon moment et résume à elle seule l’entièreté du désarroi éprouvé par Yuichi. Herzog prolonge une thématique essentielle à son art, la démesure de l’homme devant le monde comme signe de vie et voile placé devant la mort ; la démesure d’un personnage-société, d’un membre démesuré qui atteste la démesure plus générale du corps qu’il anime.


Mais le regard très critique porté sur nos sociétés virtuelles se double du regard d’un artiste soucieux de trouver là, parmi les poissons robotisés ou les automates d’accueil, quelques bribes de sublime que la caméra capte comme par hasard, témoin d’un monde qui continue d’enchanter à qui veut bien le voir : des oiseaux qui se nourrissent dans une main innocente, une jeune fille exclue en raison de sa couleur de peau et que la chaleur humaine suffit à consoler. Car il faut aller plus loin, dépasser le désenchantement de ces corps devenus décors et simulant les combats de sabre que se livraient leurs ancêtres pour atteindre, le temps d’un instant, les signes fugaces d’une vie qui passe.

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le 28 août 2020

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