Le monde tourne, s’active, bouge en suivant une drôle de chorégraphie. Au milieu, un drôle de bonhomme demeure immobile. Avec son chapeau caractéristique et ses lunettes, il regarde tout ce monde s’agiter, sans rien dire. C’est Elia Suleiman, qui s’invite dans son propre conte burlesque, It Must Be Heaven.


Les petites vignettes qui accompagnèrent la promotion du film ces dernières semaines plantaient déjà le décor. Amusantes, elles présentaient quelques scènes ponctuant le film d’Elia Suleiman. Le cinéaste, qui se présente comme un voyageur palestinien, parcourt le monde, en commençant par la Palestine, sa terre natale, avant de faire une escale à Paris, puis un passage à New York, et de, finalement, revenir en Palestine. Des lieux qu’Elia Suleiman va visiter et observer en silence, et qu’il nous invite à observer avec lui.


La démarche est aussi intéressante qu’intrigante. Statique, mutique, Elia Suleiman nous fait penser à un Jacques Tati ou à un Buster Keaton, s’intégrant dans des plans souvent construits et élaborés avec rigueur, et dans des scènes soigneusement chorégraphiées. Un voisin qui cueille des fruits qui ne sont pas les siens, des policiers qui pourchassent des délinquants en rollers ou en mono-roue électrique, la guerre des chaises au jardin du Luxembourg, le cinéaste regarde, ne dit rien, et laisse ceux qu’il regarde parler pour lui. Suleiman est un touriste, il voit le monde comme un touriste, mais il finit toujours par rencontrer une vérité dont il était particulièrement conscient chez lui, et qui s’avère applicable au monde entier.


Car It Must Be Heaven est surtout un film sur la Palestine, sur ce qu’Elia Suleiman vit en tant que palestinien, entre quête d’identité et répugnance de la violence et des armes. Il est comme cet homme qui n’a pas vraiment de voix ni de possibilité de s’exprimer, laissant davantage le monde qui l’entoure le faire à sa place pour montrer ses défauts. Une économie de paroles bienvenue, laissant le soin aux images de s’exprimer, d’instaurer un dialogue direct entre le cinéma et le spectateur. Mais le pari peut aussi être risqué. Face à la répétition, à l’étirement, au côté presque trop « pur » du film, le spectateur peut aussi se sentir éloigné des problématiques qu’il expose, peinant à cerner toutes les subtilités qu’il peut receler.


It Must Be Heaven n’est pas un film simple à juger ou à qualifier. Il fait partie de ces films dont je salue la démarche, qui a pour mérite de proposer autre chose, de relever un défi tout en faisant preuve de sincérité, mais qui peut aussi manquer de pleinement investir le spectateur dans son discours. Certaines scènes ne manquent pas de faire mouche, et le film d’Elia Suleiman demeure judicieux et pertinent. It Must Be Heaven est de ces films aussi doux que tranchés, à la qualité indéniable, que le spectateur pourra s’approprier à sa manière.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 9 déc. 2019

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