Ce n'est pas ma faute... C'est l'armée.

Tout à ma joie de laisser libre cours à ma passion, j'oubliais à quel point cela pouvait être casse-pied, les festivals de région. Surtout quand je me pique d'assister à une avant-première...


Et de constater que, même plus d'une heure à l'avance, on se cogne une file d'attente, on se gèle, et on subit les personnes âgées se rêvant en intellectuels de gauche, qui pensent et qui rient pour mieux t'asséner toutes leurs réflexions philosophiques. Qui se résument le plus souvent à « Comment ça va Lucienne ? » et qui croient reconnaître « la journaliste du journal de France 3» ou autres pseudo-célébrités de leurs après-midi Service Public léthargiques.


Mais que supporterait-on pas pour découvrir le dernier film de Polanski ?


Et donc une heure plus tard, après avoir survécu au même public grisonnant qui te grille le passage et avoir trouvé une place à peu près potable, les lumières s'éteignent et le film démarre. J'Accuse le fait de manière percutante, en entrant dans le vif et la douleur de son sujet, lors de la cérémonie de dégradation militaire de son martyr, où les plus bas instincts de haine et de xénophobie trouvent l'occasion de se libérer.


Pour presque immédiatement se détacher des pas de l'ex-capitaine Dreyfus et suivre le sillage de Picquart, qui a participé à sa condamnation pour haute trahison. Un homme aux allures a priori antipathiques, servant par son attitude la Grande Muette à laquelle il appartient.


A mesure que J'Accuse se déploie, on se dit que, peut être, on aura encore droit à l'une de ces reconstitutions historiques scolaires et molles dont le cinéma français a parfois le secret. Mais c'est oublier que Roman Polanski est derrière la caméra. Et si le souci du détail est constant, un minimum aujourd'hui, le réalisateur a pour principal souci de braquer sa caméra du côté d'aspects un petit peu moins connus comme celui du renseignement français de l'époque et de ses méthodes peu efficaces, mais à l'image du scandale. Donnant au film un faux air de film d'espionnage atypique en costume, qui rappelle aussi le côté thriller feutré de The Ghost Writer.


Polanski, surtout, a à coeur de mener l'enquête aux côtés d'un Jean Dujardin plus que convainquant pour démonter les rouages de la machination imbécile et haineuse dont Dreyfus est le bouc émissaire. Cynique, montée de toutes pièces, l'accusation devient ironie quand Picquart subit à son tour la calomnie et l'implacable défense de l'institution militaire dont a été victime l'ex-capitaine. Faisant jouer à plein l'empathie et l'indignation du spectateur.


Et l'on sent Polanski, dans son réquisitoire contre la vindicte, l'imbécilité de la justice, la médiocrité des médias et la manipulation de la(bsence) de preuves, entrer en résonance avec la thématique d'un film dont il connait intimement certains ressorts de harcèlement et de persécution. Faisant du film une oeuvre terriblement actuelle. Et sans doute abrasive aux yeux de certains continuant de considérer la reconnaissance du réalisateur comme obscène du fait de la polémique, par ailleurs opportunément relancée à deux reprises avant la sortie du film.


Mais la force de la démonstration est telle que, deux heures durant, J'Accuse réussit, malgré les voix qui portent, malgré la bronca désormais systématique, à garder son cap de reconstitution historique aux accents thriller de haute volée et d'une ambition peu commune. Il réussit de la même manière à captiver son spectateur du début à la fin, tout en parlant à sa conscience et à sa faculté de s'indigner, de saine manière, devant cette honteuse manipulation de la vérité sur fond de culture de l'antisémitisme, de secret d'état et de préservation d'institutions imbéciles.


J'Accuse, c'est tout cela à la fois.


Behind_the_Mask, faux et usage de faux.

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le 10 nov. 2019

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